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L’édito de Bénédicte Hautefort

AG 2022 : les activistes financiers prennent le relai des ONG balayées au moment des votes

La saison d’assemblées générales 2022 se termine sur une note amère. Les actionnaires ont reçu des dividendes massifs, mais cela n’a pas suffi à les satisfaire. Ils attendaient plus sur la stratégie Climat, la condamnation de la Russie, l’équité salariale et la gouvernance des entreprises. Les ONG l’ont compris, et ont fédéré des investisseurs pour présenter, dans tous les pays d’Europe, un nombre record de « résolutions dissidentes » sur les sujets extra-financiers. Elles ont toutes été rejetées, mais servent désormais de marqueurs pour les attaques de fonds activistes.

Les assemblées 2022 avaient tout pour célébrer le succès des entreprises, en France comme ailleurs. Les actionnaires ont joué le jeu en participant massivement au vote, avec un taux de participation de 74% en France ce printemps, 5 points de plus qu’en 2021. C’est le taux de participation le plus élevé d’Europe.

Sur les sujets financiers, ils ont été satisfaits, y compris sur le calibrage des délégations financières, un sujet qui posait souvent problème et qui cette année est passé sans aucune difficulté.

Sur les bonus 2021 des dirigeants, ils ont aussi été compréhensifs. Seulement quatre dirigeants ont enregistré des votes en-dessous de 80% d’approbation, deux fois moins nombreux que l’an dernier quand il s’est agi de valider les rémunérations 2020. Les niveaux de bonus en 2021 étaient pourtant très élevés en valeur absolue; mais l’essentiel, pour les actionnaires, a été que les critères votés il y a un an ont été respectés. A cette courte liste s’ajoute le cas Stellantis (ex-PSA), où les actionnaires ont voté à 52% contre la rémunération de Carlos Tavares, mais de façon purement consultative, la société étant de droit néerlandais.

Les choses se sont gâtées quand il s’est agi de la rémunération 2022. Cinq dirigeants du CAC 40 ont enregistré des votes inférieurs à 80%, davantage que l’an dernier. Au-delà du CAC 40, 11 autres votes en France sont passés à moins de 80%, et la politique de rémunération du fondateur d’Ipsos, Didier Truchot, a été rejetée. Dans tous ces cas, le désaccord des actionnaires a porté sur l’augmentation des fixes, et les critères de performance extra-financière, jugés trop peu exigeants et déconnectés de l’actualité 2022, la guerre en Ukraine, la crise du pouvoir d’achat des salariés. Et le sujet « rémunération » a rejoint la liste des autres thèmes d’insatisfaction des actionnaires sur ce volet extra-financier.

Les entreprises avaient pourtant fait des efforts importants de pédagogie, de rapports RSE, de formalisation des critères extrafinanciers pour la rémunération des dirigeants. 16 entreprises européennes ont soumis ce printemps leur stratégie Climat au vote, elles ont obtenu en moyenne 91% de votes favorables. Mais elles ont été prises de court par le nombre inédit de résolutions dites « dissidentes », c’est-à-dire présentées par les actionnaires sans l’accord du conseil d’administration. 18 en France ce printemps, 77 en tout en Europe. C’est trois fois plus qu’en 2021. Cela a été, pour les actionnaires, la façon radicale d’ouvrir le débat sur la performance extrafinancière. Ces résolutions ont porté en effet principalement sur la gouvernance de l’entreprise, et la stratégie Climat.

Sur la gouvernance, certaines ont parfois été bien près de franchir la barre, comme à Danone, la résolution proposée par Phitrust pour normer le rôle du « président d’honneur » (59% des suffrages, pour 66% minimum requis). A SMCP qui est un cas particulier, en janvier, les nominations et révocations proposées par les actionnaires sont passées. Ailleurs en Europe, à Generali et Shell, elles ont obtenu entre 20% et 40% de soutien. Pour les autres, à AB InBev, Danske Bank, Generali et Rio Tinto, l’approbation a été inférieure à 20%. 

Les résolutions dissidentes portant sur le Climat ont, elles, essuyé un échec électoral, avec en moyenne seulement 4% d’approbation. Mais elles ont été très médiatisées. En face des 16 résolutions Climat proposées par les sociétés, 13 ont été proposées par des contradicteurs fédérés par des ONG. Cela s’appelle toujours « Say-on-Climate », mais il s’agit en réalité de sujets différents. Les sociétés proposent de voter sur leur stratégie Climat globale, et les actionnaires sont alors unanimement pour, comme à Engie par exemple, qui a été approuvée à 97%, Amundi, EDF, Getlink, Mercialys, Icade, EDF, Carmila, ou au Royaume-Uni BP et Rio Tinto, en Norvège Equinor. Certaines se sont risquées à soumettre au vote des objectifs précis, et les actionnaires ont tiqué : 76% seulement d’approbation pour la société minière britannique Glencore, sur le niveau de ses émissions carbone, pourtant bien plus ambitieux que ceux communiquées dans les stratégies globales de ses pairs plébiscitées par leurs actionnaires.

Les actionnaires, de leur côté, ont proposé des résolutions radicales. Ils ont ciblé les énergéticiens, RWE en Allemagne, Equinor en Norvège, demandant de sortir totalement des énergies fossiles ; ou encore, comme l’ONG Climate Action 100+, ils ont mis en cause les auditeurs de dix-sept sociétés en Europe qui ne reflèteraient pas leur stratégie climatique dans leurs comptes. De grands investisseurs comme Vanguard ou Blackrock les ont soutenus publiquement au moment du dépôt de la résolution, mais n’ont finalement pas voté pour, ou étaient peut-être sortis du capital au moment du vote – le score au final n’a pas dépassé les 4%.

Certaines entreprises, comme Totalénergies, se sont placées sur le terrain juridique pour endiguer le flot. Le pétrolier français a refusé d’inscrire la résolution dissidente Climat à l’ordre du jour, et soumis sa propre résolution, d’ailleurs largement approuvée. En mesure de rétorsion, Greenpeace a bloqué l’accès à l’assemblée générale de Totalénergies. Ailleurs en Europe les irruptions de l’ONG Money Rebellion pour bloquer les assemblées de HSBC, BP, Barclays, Standard Chartered ou encore Shell ont aussi marqué l’opinion. Les résolutions ont été rejetées, mais il reste l’image, peut-être injuste, d’entreprises qui ont refusé le dialogue.

Votera-t-on bientôt en assemblée sur une multitude d’autres sujets ? Il faut s’y préparer. Unilever, au Royaume-Uni, a dû baisser le taux de sucre dans ses crèmes glacées Ben & Jerry, sous la pression de l’ONG Shareaction, soutenue en janvier par onze investisseurs bien décidés à soumettre au vote une résolution demandant de divulguer la proportion actuelle des ventes liées aux produits plus sains. Au final, Unilever a trouvé fin mai un accord avec Shareaction, mais a dû en contrepartie accueillir à son conseil d’administration le fondateur du fond activiste Trian, Nelson Peltz. De façon classique, Trian demande maintenant une réflexion sur le portefeuille stratégique du groupe.

Le cas Unilever est emblématique. Qu’ils triomphent ou pas au moment des votes en assemblée, les « Robins des Bois » de la performance extrafinancière sont populaires dans l’opinion, ouvrent le débat, et placent ces entreprises dans la ligne de mire des fonds activistes, plus puissants financièrement que jamais. Trian n’est pas un cas isolé. Le fond Bluebell a déjà attaqué successivement le chimiste belge Solvay, envoyant 106 questions écrites pour demander la démission de la directrice générale Ilham Kadri, puis la société minière Glencore et encore le français Saint-Gobain, visé quelques mois plus tôt par Action Climate 100+. Avec un second semestre annoncé comme plus difficile économiquement, les dirigeants ne peuvent se reposer ni sur les succès 2021 ni même sur les bons scores emportés en assemblée. Ils sont de nouveau sous pression.

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