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L’édito de Bénédicte Hautefort

2022 augmente la pression sur les commissaires aux comptes

Pour la première fois, les renouvellements de mandat des auditeurs ne passent plus comme lettre à la poste. Dans toute l’Europe, les scores de renouvellement perdent deux points en moyenne – mais restent à 95% de votes favorables. Rien qu’en France, cinq mandats ont été renouvelés avec moins de 80% d’approbation. La contestation n’épargne pas les grands cabinets : EY chez GTT, Deloitte chez Worldline n’enregistrent que 77% d’approbation. Du jamais vu, et des scores qui, selon les recommandations de l’AMF, vont obliger les sociétés à s’expliquer devant leurs actionnaires.

Pourquoi ces soudaines levées de boucliers ?

Une première explication est l’activisme, qui touche les commissaires aux comptes comme tous les étages de la gouvernance de l’entreprise. C’est une raison médiatisée, mais qui en réalité n’explique qu’un faible nombre des scores en recul. Mais le fait doit cependant être pris en compte par les entreprises. Pour la première fois, l’ONG Climate Action 100+ a appelé cette année à voter contre les renouvellements de mandats des commissaires aux comptes de 17 sociétés en Europe, au motif que les comptes ne reflétaient pas la stratégie Climat annoncée. L’objectif était d’obtenir des garanties supplémentaires de l’exécution d’une stratégie de « décarbonation » ambitieuse. En mars, quand Climate Action 100+ est passée à l’offensive, elle était publiquement soutenue par de grands fonds internationaux, comme Vanguard et Blackrock. Mais au moment des assemblées, les scores ont été très hétérogènes ; à Rio Tinto au Royaume-Uni, les comptes ont été votés à la quasi-unanimité, comme le renouvellement des mandats des commissaires aux comptes. Soit les investisseurs n’ont finalement pas suivi l’ONG, soit ils avaient vendu avant, soit ils se sont abstenus.

Une seconde raison explique davantage de scores inférieurs à 80%. Les « proxy » ont voulu, en 2022, faire le ménage chez les commissaires aux comptes jugés insuffisamment indépendants. L’indépendance, pour un auditeur, dépend officiellement de l’ancienneté du mandat. Les règles européennes sur la durée maximum des mandats se sont durcies, et sont, en plus, hétérogènes d’un pays à l’autre en Europe. C’est le même raisonnement que pour les administrateurs, qui « perdent » leur indépendance après 8 à 12 ans d’ancienneté, suivant les référentiels. Au-delà de ce cap, soit les sociétés ne proposent pas leur renouvellement, soit elles le font en sachant à l’avance qu’ils enregistreront de faibles scores, et l’assument. Pour les commissaires aux comptes, la limite est 24 ans en cas de double commissariat aux comptes, ce qui est le cas de la majorité des sociétés cotées. Bien entendu, pendant cette durée de 24 ans, ils changent d’associé signataire ; mais cela n’est pas pris en compte pour le calcul d’ancienneté. C’est une façon pour le législateur de protéger les petits cabinets, qui n’ont qu’un signataire, contre les géants de l’audit. Sauf qu’en réalité, ils ne signent pas les mêmes comptes, donc ne sont pas vraiment en concurrence.

Le sujet n’est pas un épiphénomène. En Europe, 202 mandats ont aujourd’hui un terme supérieur à 18 ans, parmi les 1500 analysés par Scalens – sur 600 sociétés. S’ils sont renouvelés, pour 6 ans comme le veut la loi, ils passent la barre des 24 ans et se retrouvent donc dans le viseur des « proxy ». Ils s’ajoutent à 166 mandats qui excèdent déjà 24 ans. En somme, environ 1 mandat d’audit sur 5 n’est pas aujourd’hui dans l’épure. Les « proxy » ont voulu, en 2022, faire le ménage, et ont recommandé de voter contre tous ceux qui se présentaient en renouvellement. Ils n’ont pas toujours été suivis par les investisseurs, mais expliquent la plupart des scores inférieurs à 80%.

Pour l’instant, aucune société concernée n’a fait de commentaire sur ces faibles scores, ni en France ni ailleurs. Il sera intéressant de voir comment se poursuit la réflexion de place sur l’indépendance des auditeurs.

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