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La veille de l'Hebdo des AG

L’édito de Bénédicte Hautefort

Faut-il, au nom de la guerre, revenir comme en 2020 sur les largesses annoncées ?

Aujourd’hui est le 11ème jour de la guerre en Ukraine, et pour les entreprises européennes, le scenario 2020 se répète. Même trajectoire triomphante en début d’année, même freinage brutal en mars, sur une injonction politique devant l’horreur – crise sanitaire mondiale en 2020, quand le Président Emmanuel Macron disait explicitement « nous sommes en guerre», et guerre en Ukraine en 2022. En mars 2020, l’Europe comptait tous les jours ses morts du Covid, certaines villes comme Bergame ne trouvaient plus de place pour les enterrer ; en mars 2022, nous comptons les morts de la guerre chez notre voisin l’Ukraine,plusieurs milliers de morts déjà, dont des civils,, et nous nous organisons pour faire de la place à un million de réfugiés. 

Les entreprises ont prouvé en 2020 qu’elles étaient agiles, mais elles vont devoir faire encore mieux : démontrer la même empathie qu’en 2020, mais être plus convaincantes sur l’adaptation de la rémunération de leurs dirigeants. A l’époque, elles avaient modifié les critères pour s’adapter au contexte, sans toujours revenir consulter leurs actionnaires. Ils ont prévenu qu’ils ne laisseraient pas passer deux fois – ils prévoyaient une autre pandémie, pas une guerre bien sûr.

LVMHChanel et bien d’autres, en pleine “fashion week”, ont immédiatement fait des dons pour venir au secours des victimes et de leurs familles : matériel médical, aide aux réfugiés, dons en numéraire aux ONG. L’expérience 2020 nous a montré que cette générosité est attendue, mais ne suffit pas. Les parties prenantes veulent entendre les entreprises aussi sur d’autres sujets qui concernent leur portefeuille : maintiennent-elles les dividendes records, les rachats d’actions massifs, les bonus au plus haut pour les dirigeants annoncés pour ce printemps, conclusion logique et joyeuse d’une excellente année 2021 ? Le passé reste étincelant, mais pour le présent la guerre d’Ukraine change à la fois le politiquement correct et la donne économique. La croissance sera moins rapide que prévue – 35 sociétés du CAC 40 ont une filiale en Russie et sont donc directement impactées ; Société Générale envisage même le pire, l’expropriation, qui lui coûterait 1,8 milliard d’euros. Cette guerre fait aussi exploser le prix du gaz, et du blé, pèse sur les coûts des entreprises et donc leurs marges, et plombe directement le pouvoir d’achat des salariés déjà mis à mal par la remontée du baril. La chute brutale des cours de bourse depuis l’invasion de l’Ukraine montre que les marchés ont déjà fait leurs calculs. Le scenario de mars 2020 tristement se répète. Il y a deux ans, les entreprises avaient reporté à plus tard dividendes et bonus pour protéger les marges des entreprises. Les actionnaires les avaient soutenues. Vont-elles prendre la même décision ce printemps ? 

Le deuxième sujet concerne le Climat. Faut-il poursuivre réflexions et colloques sur la lutte contre le réchauffement climatique, ou les suspendre parce que de toutes façons, le bras de fer contre la Russie au sujet du gaz passe avant, et qu’on sait déjà que les indicateurs vont se dégrader s’il faut redémarrer les centrales à charbon ? Aujourd’hui 7 mars, Nantes accueille Climate Chance, initiative prévue de longue date qui rassemble plus de 2000 acteurs du monde entier, sur les meilleures façons de réduire de 55% les émissions de CO2 en Europe. Schneider ElectricSéché Environnement et BNP Paribas comptent parmi les partenaires clés. Dans le même esprit, Totalénergies et Amundi ont annoncé qu’elles soumettraient leur stratégie Climat au vote des actionnaires, deuxième année consécutive pour Totalénergies. 20 autres grands groupes en Europe font de même. Les entreprises, pour l’instant, continuent à afficher leur priorité pour le Climat, mais savent bien que leurs indicateurs seront moins bons que prévu. Les grands investisseurs mondiaux ont une attitude ambivalente : Larry Fink, le très médiatique patron de Blackrock, premier gestionnaire d’actifs du monde et engagé de la première heure pour les stratégies environnementales, a publiquement pris position pour un boycott économique de la Russie ; mais il n’a pas précisé si ses équipes seraient clémentes avec les entreprises qui, à cause de ce boycott, seraient obligées de se fournir en énergie charbon, donc dégraderaient leurs indicateurs.

Il y a un troisième sujet : le bonus des dirigeants en 2022. Comme chaque année, les actionnaires doivent fixer les critères à l’avance, dans les semaines qui viennent. A leur écoute, les entreprises ont élaboré des schémas de bonus où la lutte contre le réchauffement climatique, justement, compte pour un tiers environ, la croissance du chiffre d’affaires et de la marge pour les deux autres tiers. Il est trop tard pour modifier ces critères avant les assemblées générales, beaucoup d’entreprises les ont déjà rendu publics. A présent se profile un scenario où le Climat risque d’attendre un peu, si le boycott du gaz russe devient le moyen de pression sur Vladimir Poutine ; et la croissance et la marge aussi. Au final, si on reste sur les critères définis avant la guerre d’Ukraine, des bonus quasi nuls pour les grands patrons en 2022.  Sur ce sujet précis, les entreprises confrontées au même retournement de situation en 2020 avaient fait de leur mieux, avec des solutions de bon sens pour adapter les rémunérations à la crise, comme l’abaissement des objectifs au niveau des budgets révisés, par exemple, une solution qui pourrait bien convenir au ralentissement 2022. D’autres avaient créé des “primes exceptionnelles de gestion de la crise sanitaire” – verra-t-on des “bonus de guerre” ? Dans tous les cas, les investisseurs ont lourdement sanctionné les entreprises non parce qu’elles ont été ou pas de bon sens, mais parce qu’elles ont changé de politique sans leur redemander leur avis. Les Comités de Rémunération ne doivent plus seulement être créatifs, ils doivent aussi être diplomates. 

Rendez-vous le 12 avril prochain : Vinci ouvre le bal des assemblées générales.

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