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La veille de l'Hebdo des AG

L’édito de Bénédicte Hautefort

Quand les créanciers prennent le pouvoir

On connaissait les drames des LMBO qui tournent mal, quand les créanciers deviennent actionnaires de sociétés en difficulté et que le dialogue est souvent difficile ; on ne connaissait pas, jusqu’ici, les créanciers qui se battent pour prendre le pouvoir dans des sociétés qui vont bien, et dont ils sont devenus suite au défaut d’un des actionnaires. SMCP est une première.

Le champion français du « luxe accessible » va pourtant bien, avec ses 5500 salariés, ses 41 pays et son milliard de chiffre d’affaires confirmé en 2021;  c’est sa gouvernance qui est un récit à rebondissements, digne d’un polar à grande audience, avec héroïnes talentueuses, hedge funds, batailles internationales entre Londres, Paris, Luxembourg et Pékin, fonds off-shores, virtuosité juridique, détectives et, au milieu, un fleuron français et ses 5000 salariés, qui fonctionnent plutôt bien.

Le 14 janvier, le champion français du « luxe accessible » SMCP (Sandro Maje Claudie Pierlot) tiendra une assemblée doublement inhabituelle : convoquée par le Tribunal de Commerce de Paris et non par la société, et pour révoquer quatre administrateurs, dont le président. Des révocations en assemblée, cela n’arrive presque jamais : une fois seulement en 2021, chez SEB ; en 2020, il y a eu la bataille Lagardère, et ses 8 demandes de révocation, qui n’ont pas abouti ; en 2019, même issue négative pour la demande de révocation de Denis Kessler, chez Scor, mais succès des actionnaires chez ITLink, qui ont révoqué l’un des fondateurs, Serge Benchimol, et sa compagne. Et une convocation d’assemblée imposée par le Tribunal de Commerce, cela arrive encore moins souvent.

Résumé des épisodes précédents. En 1984, Evelyne Chetrite fonde la marque Sandro, avec sa sœur, Judith Milgrom, qui crée à son tour la marque Maje en 1998: « m » pour Milgrom, « a » pour Alain (frère de Judith travaillant avec elle), « j » pour Judith et « e » pour Evelyne. En 2008, Ilan Chetrite, le fils d’Evelyne, fonde Sandro Homme. Après le rachat de Claudie Pierlot, le groupe se renomme SMCP en 2010. LVMH devient alors le principal actionnaire, aux côtés des fondateurs. Puis cède sa participation en 2013 au fond KKR, qui à son tour cède en 2016 SMCP au groupe textile chinois Shandong Ruyi. SMCP entre en bourse en 2017 sur une valeur de 2 millards d’euros, levant plus de 550 millions d’euros pour réduire sa dette. Shandong Ruyi détient alors 53% de SMCP et loge sa participation dans une filiale luxembourgeoise, European TopSoho. Jusqu’ici, rien d’autre qu’une pépite en forte croissance, qui change souvent d’actionnaire de référence.

Sauf que Shandong Ruyi s’est endetté pour acheter SMCP, et a mis en garantie ses actions. Les choses se gâtent en septembre 2021 : le géant chinois ne peut pas honorer son échéance de 250 millions et ses créanciers, les fonds Carlyle, Anchorage, Blackrock, Boussard & Gavaudan, constituent un trustee, Glas, pour récupérer les actions de la société et les vendre. Elles ont perdu, depuis 2017, plus de deux-tiers de leur valeur, mais SMCP annonce des résultats en forte reprise. Ils apprennent alors que Shandong Ruyi a vendu des actions pour 16% du capital, sans déclarer aucun franchissement de seuil, et ne détient plus que 37%. Les créanciers jouent la carte médiatique, prennent à partie toute la place boursière du manque de transparence de Shandong Ruyi  et tiennent ensuite au courant l’opinion publique de leurs avancées. Ils

prennent possession de 29% de SMCP, mais, avisés, ils ne demandent tout de suite à prendre l’intégralité des 37%, ce qui leur imposerait de lancer une OPA sur le groupe. Ils recherchent les 8% restant, et, coup de théâtre, ne les trouvent nulle part. Ils finissent par les identifier sur un compte off-shore, aux Iles Vierges, au nom de Quenran Qiu, administratrice de SMCP et fille de Yafu Qiu, le fondateur du groupe chinois. Choqués, les créanciers demandent à SMCP une assemblée pour révoquer Quenran Qiu, toujours administratrice du groupe, et les trois administrateurs représentant Shandong Ruyi. Le Conseil d’Administration de SMCP, il y a trois semaines, refuse d’examiner cette demande. Les trois fonds ne se démontent pas, et dégainent une possibilité juridique très rarement utilisée en France : ils demandent au Tribunal de Commerce de convoquer cette assemblée, un droit qu’ils peuvent exercer puisqu’ils détiennent 29% du capital. SMCP, mise devant le fait accompli, est donc contrainte de réunir ses actionnaires pour révoquer quatre administrateurs, dont son président, et nommer à la place quatre administrateurs indépendants proposés par les fonds : Christopher Zanardi -Landi, conseil financier, Xavier Veret, directeur financier de Vivescia, Natalia Nicolaidis, juriste senior à Crédit Suisse, et Christophe Chenut, patron d’Elite et ex-dirigeant entre autres de Princess Tam Tam et Comptoir des Cotonniers.

Vu le poids des créanciers dans le capital, ce coup d’état a une forte probabilité de réussir. Il faut dire que la mariée fait envie : pendant que ses actionnaires s’affrontent pour elle, SMCP confirme sa croissance retrouvée.

Réponse le 14 janvier à l’assemblée de SMCP, et d’ici là bien d’autres actualités avec 11 assemblées à suivre entretemps, à une période où d’habitude l’agenda de l’actionnaire est tout à fait vide. Bonne semaine !

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