L’édito de Bénédicte Hautefort

Orpea : AG décisive le 28 juin

Jusqu’où le pouvoir public peut-il aller pour sauver Orpea, et trouver ainsi une solution pour les 267 000 résidents de ses maisons de retraite ?

Une solution est sur la table, avec la Caisse des Dépôts comme chef de file. Mais les critiques se multiplient. D’un côté, le management, les créanciers, et l’Etat, à travers la Caisse des Dépôts ; de l’autre, les actionnaires, qui s’estiment lésés et en veulent à l’Etat.

Ils pointent à la fois des sujets financiers et des questions de fond. Sur le plan financier, l’écart entre les valorisations des deux parties est de 3,4 milliards d’euros, rapports d’experts à l’appui. Sur le plan des principes, ce plan active une directive européenne qui fait que la société ne peut pas verser quoi que ce soit aux actionnaires tant que les créanciers n’ont pas récupéré l’intégralité de leur mise, une possibilité encore jamais activée en France, où l’épargnant est traditionnellement protégé.

Les actionnaires minoritaires révoltés se sont regroupés autour de Concert’O, le concert qui regroupe les actionnaires activistes Mat Immo Beaune et Nextstone, et Adamo, association d’actionnaires.

Dans cette atmosphère clivée, le nouveau Directeur Général Laurent Guillot, artisan de cette restructuration financière, concentre sa prise de parole sur le souhait de devenir une « entreprise à mission » qui réunirait harmonieusement toutes les parties.

Les moments clés

Janvier 2022 :  

Le livre du journaliste Victor Catanet, « Les Fossoyeurs », révèle des cas de maltraitance, qui provoquent le départ du Directeur Général de l’époque, Yves Le Masne. Entre février et octobre 2022, une trentaine de dirigeants du groupe seront licenciés pour faute grave. Plus de 80 plaintes sont déposées en quelques mois par les familles de résidents, représentées par l’avocate Sarah Saldmann. Ces plaintes individuelles visent Orpea pour « mise en danger de la vie d’autrui »« non-assistance à personne en danger »« homicide involontaire » ou encore « violence par négligences ». Face à l’ampleur des témoignages, le gouvernement s’empare de l’affaire et annonce vouloir renforcer le contrôle des maisons de retraite

Avril 2022 :

Les rapports de l’Inspection Générale des Affaires Sociales et de l’Inspection des Finances pointent de graves dysfonctionnements. En pleine campagne présidentielle, Brigitte Bourguignon, alors ministre déléguée, saisit la justice, contre Orpea.

Juillet 2022 :

la société n’est plus en mesure de payer les salaires de ses employés, et a alors trouvé un accord avec ses partenaires bancaires historiques. Une première conciliation permet de céder quelques actifs à l’étranger, mais pas suffisamment et pas assez vite.

Octobre 2022 :

le groupe se place sous protection judiciaire dans l’objectif de renégocier sa dette avec ses créanciers. Ces derniers entament un bras de fer avec l’État qui souhaite prendre le contrôle du géant des maisons de retraite pour préserver et transformer le groupe.

Janvier 2023 :

À l’occasion du premier anniversaire du déclenchement du scandale, une nouvelle édition du livre Les Fossoyeurs paraît le 25 janvier, enrichie de dix nouveaux chapitres.

Mars 2023 :

Orpea est entrée dans une nouvelle procédure de sauvegarde accélérée. Celle-ci instaure une préséance des créanciers par rapport aux actionnaires. La société ne peut pas donner quoi que ce soit aux actionnaires tant que les créanciers affectés n’ont pas récupéré l’intégralité de leur mise, à savoir, s’agissant d’Orpea, 3,8 milliards d’euros. Orpea active ainsi une directive européenne. Une seule proposition remplit tous ces critères, celle du groupement composé de la Caisse des Dépôts, de la Maif, de CNP et de MACSF. Celle de Concert’O, menée par David Azoute, ne respecte pas la priorité aux créanciers.

Mai 2023 :

les actionnaires organisés autour de  Adamo (association de défense des actionnaires minoritaires) et Concert’O (deuxième actionnaire d’Orpea, concert de Mat Immo Beaune et Nextone), ont demandé la tenue d’une assemblée générale extraordinaire pour examiner les propositions. Cette demande, plaidée au Tribunal le 23 Mai, a été rejetée.

  • Juin 2023 :

Concert’O, le concert qui regroupe les actionnaires activistes Mat Immo Beaune et Nextstone, publie une analyse du cabinet Ricol & Lasteyrie qui conclut que le rapport de l’expert mandaté par Orpea dans le cadre de son projet de restructuration financière sous-estime la valeur du gestionnaire de maisons de retraite. Ricol & Lasteyrie aboutit à une évaluation de 3,4 milliards d’euros supérieure à celle de l’expert indépendant Sorgem mandaté par Orpea (-2,7 milliards d’euros, valeur sur laquelle repose le plan de restructuration financière).

13 juin 2023 :

Christelle d’Intorini, députée de l’opposition, interpelle le Ministre des Finances sur deux points : l’écart de valorisation de 3,4 milliards d’euros, d’une part,et le principe politique, arguant que l’argent public ne peut pas être utilisé pour dépouiller les contribuables investisseurs.

28 juin 2023 : assemblée générale

Les actionnaires auront à se prononcer sur le plan de sauvegarde accélérée, qui sera ensuite examiné par le tribunal de commerce spécialisé de Nanterre. Le tribunal pourra ensuite imposer le plan, même si les actionnaires, a voté contre ce plan. L’enjeu politique et mediatique reste lourd.

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