L’edito de Bénédicte Hautefort

Rejet du quitus chez Philips : le management va-t-il rester en place ?

Les actionnaires de Philips viennent de refuser, à 76%, contre le quitus donné au management pour sa gestion. Ce quitus est inutile, facultatif, mais le résultat expose au grand jour le hiatus entre les actionnaires et le management. Les rares précédents ont été suivis d’un changement d’équipe dirigeante. Que va faire Philips ?

Ce quitus devient de plus en plus rare dans les ordres du jour. Il n’a en réalité n’a plus aucune utilité en droit, depuis près de 100 ans. Il a été vidé de son sens dès la crise boursière de 1929, quand le législateur, dans tous les pays, a voulu protéger les épargnants avec des lois plaçant le droit au-dessus des décisions d’assemblée générales d’actionnaires – en 1932 aux Etats-Unis, en 1934 en Allemagne, en 1937 en France, par exemple. Aujourd’hui, plus aucun dirigeant ne peut invoquer le quitus pour ne pas être poursuivi en justice par ses actionnaires. Néanmoins, un usage tenace consiste pour une poignée de dirigeants à solliciter annuellement ce quitus, comme symbolique de leur gestion irréprochable. Ils sont de moins en moins nombreux à s’y risquer: 25% des sociétés en 2015, 15% en 2020, 12% cette année, sur les 1200 sociétés suivies par Scalens dans 13 pays.

Les administrateurs de Philips étaient de ceux qui continuaient à soumettre leur action au quitus, et s’enorgueillissaient dans les communiqués de presse post-AG d’obtenir de très bons scores, preuves selon eux de leur bonne gestion. Las, ils viennent d’essuyer un rejet. Après l’affaire du « Respiratorgate », pour laquelle Philips est poursuivi en justice, les actionnaires refusent aux dirigeants ce vote, même s’il n’a qu’une valeur symbolique. Le Conseil d’Administration de Philips a reconnu cette erreur qui peut avoir des conséquences mortelles sur les malades équipés d’un respirateur, et a déjà provisionné 575 millions d’euros, rien que pour les litiges en cours aux Etats-Unis.

Que faire à présent ? Philips ne peut rester sans réagir. Les sociétés qui ont continué à inscrire le quitus à l’ordre du jour ont toutes, jusqu’ici, tenu compte du vote des actionnaires. Un plébiscite, et les dirigeants partagent leur satisfaction ; une approbation timorée, et ils mettent les actions correctives en place ; un rejet … les dirigeants, jusqu’ici, sont partis peu après.

Les premiers quitus « timorés » sont venus avec Airbus, voté à 75% seulement en 2020, par protestation sur sa politique de décarbonation jugée trop lente (et corrigée l’année suivante), le constructeur automobile allemand Mercedes Benz à 78% en 2022 suite à plusieurs litiges, le leader telecom suédois Ericson à 75% en 2022, suite à de fortes pertes, ou encore l’énergéticien suisse ABB, ce printemps 2023, à 72%, dans le contexte de contestation de sa stratégie de scission du groupe. Il est intéressant de constater que les sociétés concernées, à chaque fois, se sont attachées à mener des actions correctives, et revenir devant leurs actionnaires pour obtenir, l’année suivante, un quitus de nouveau au score maximum. Même s’il est toujours, en réalité, inutile.

Contester donc, et débattre, c’est possible. Mais rejeter en bloc le quitus comme c’est arrivé à Philips, c’est rarissime, associé à des faits très graves, et souvent annonciateur de profonds changements manageuriaux. Le premier cas est arrivé en Europe en 2007, à UBS. Les actionnaires ont voté contre à 53%, arguant de la responsabilité des dirigeants dans la surexposition de la banque aux subprimes. L’équipe dirigeante a ensuite été profondément renouvelée.  Il a fallu attendre 2022 pour avoir un deuxième cas : Crédit Suisse. Les actionnaires ont voté à 62% contre un quitus au management. On connait la suite et le sauvetage de la banque par le gouvernement suisse ; l’équipe dirigeante a été remerciée. Ce printemps 2023, avant Philips, est venu le rejet du quitus pour le géant pharma finlandais Orion. Sans que le score ait été rendu public, ce rejet s’inscrit dans le cadre d’une affaire de délit d’initié impliquant le Conseil d’Administration. Le management d’Orion a fait savoir qu’il attendait la décision de justice pour se prononcer, au nom de la présomption d’innocence.

En attendant la prise de parole des dirigeants de Philips, cette semaine les actionnaires vont se prononcer sur un autre quitus, à Deutsche Bank. Habituellement voté chaque année avec près de 100% d’approbation.

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