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La veille de l'Hebdo des AG

L’édito de Bénédicte Hautefort

En ce moment aux US : l’activisme se place sur le terrain social

La saison d’assemblées générales s’ouvre aux Etats-Unis. Apple tient son assemblée ce vendredi 10 mars, Starbucks le 23 mars, soit un mois plus tôt que les premières assemblées européennes. Ce qui se passe chez les cousins américains va bientôt débouler chez nous. La saison de ce côté de l’Atlantique va s’ouvrir le 13 avril avec Vinci.

Les résultats économiques sont bons, on aurait donc pu penser que tout serait calme. Il n’en est rien. Salariés et syndicats braqués par des vagues de licenciements par centaines de milliers depuis janvier, investisseurs inquiets sur les indicateurs macro ont donné une couleur sociale à ce début de saison 2023. Un registre sur lequel les managements n’ont pas l’habitude de rendre compte à leurs investisseurs. Les plus grands investisseurs du monde estiment aujourd’hui que le principal point de fragilité immédiat de l’entreprise est sa cohésion.

Ils exigent une bonne performance financière, c’est un préalable, une bonne performance climatique, c’est désormais inscrit dans la loi de la plupart des Etats, mais aussi l’amélioration des conditions de travail, l’augmentation des salaires des employés, la transparence sur les politiques de lutte contre les préjugés, la sécurité des salariés et leurs avantages sociaux. Il y va de la réputation de l’entreprise. Les clients veulent des entreprises fréquentables. Sans bonne réputation, pas de croissance, pas de performance. Les investisseurs sont pragmatiques.

La pression sur les entreprises est forte, car ces investisseurs contestataires n’ont jamais été aussi puissants. Le rapport de « Proxy Preview » vient de sortir et donne les chiffres. Depuis trente ans, les associations As you saw, Si2 et Proxy impact recensent avec ce rapport les résolutions proposées par les actionnaires des sociétés cotées aux Etats-Unis.

529 résolutions d’actionnaires ont été déposées en 2022 aux Etats-Unis, soit une augmentation de plus de 20 %. Un signe de crispation fort.

Sur ces 529 résolutions, 39 ont emporté l’adhésion des actionnaires, contre le management ; un record également. C’est d’autant plus préoccupant que chaque fois, il s’agit d’entreprises emblématiques. ExxonMobil a vu deux résolutions dissidentes passer la barre : 64,2 % en faveur d’une proposition parrainée par BNP Paribas Asset Management demandant plus de transparence sur le lobbying climatique et 56,1 % en faveur de la proposition des Teamsters, le syndicat des chauffeurs routiers américains, concernant une révision de la grille de classification des employés. Apple a dû renforcer le dispositif de prise en compte et de protection des lanceurs d’alerte, une demande d’investisseurs obtenant 50,4 % des suffrages.

Le caractère atypique des initiatives contestataires qui agitent en ce moment Wall Street tient aux groupes qu’elles fédèrent : elles font converger des investisseurs, des pouvoirs publics, des syndicats et des ONG dans un coude-à-coude inattendu, soudé uniquement par son hostilité aux entreprises. Un phénomène inattendu aux Etats-Unis.

James McRitchie, activiste américain parmi les plus médiatiques, demande à 13 entreprises américaines de limiter les écarts de rémunération entre salariés et dirigeants, l’équivalent du ratio d’équité obligatoire par la loi depuis 2020 en France.  Il a déjà obtenu 6 accords sur 13. 

Arjuna Capital demande davantage de détail sur les salaires en fonction du genre et de la race – un sujet inabordable en France ou au UK ou dans les pays membres de l’Europe, mais abordé en Norvège par exemple. 

Les Franciscaines de l’Adoration Perpétuelle, un des fonds de pension les plus influents, demandent à nouveau à Walmart de publier les salaires en fonction de la race, en vue d’instaurer davantage d’égalité raciale (résolution rejetée l’année dernière, mais qui a obtenu 12,7 % des suffrages).

Tulipshare revient à la charge chez Amazon, épaulé d’un groupe de plusieurs autres investisseurs. En 2022, ils avaient demandé l’inscription dans les statuts de l’obligation de publier les taux d’accidents respectifs des personnes de couleur et des femmes, ainsi qu’un audit sur la santé et la sécurité des travailleurs, appuyant ainsi une demande du contrôleur de la ville de New York, qui jusque-là n’avait pas gain de cause. La résolution a emporté 44% des suffrages, soit tout près du but. 14 autres résolutions dissidentes portaient sur la rémunération des dirigeants et la transparence fiscale. L’année 2023 pourrait être celle de leur victoire.

Un autre groupe d’investisseurs demande des protocoles de sécurité stricts en cas de pandémie chez Walt Disney, soutenant une demande de l’AFL-CIO, premier regroupement syndical américain.

Oxfam demande à Moderna et Pfizer le partage de la propriété intellectuelle et des connaissances techniques sur les vaccins et les traitements Covid-19 dans les pays les moins développés, où la pandémie de coronavirus continue de frapper durement.  L’ONG Shareholder Commons fait de même chez Johnson & Johnson et Pfizer. 

La liste est longue. La plupart de ces résolutions n’iront probablement pas jusqu’à l’assemblée, car les entreprises vont négocier avant. En 2022, aux Etats-Unis, c’étaient 106 résolutions (sur 529) qui ont été retirées de l’agenda avant l’assemblée, les parties en présence ayant trouvé un accord. L’usage s’est développé aussi en France. 12 investisseurs de Totalénergies ont retiré leur résolution Climat, en échange d’engagements publics pris par le management avant l’assemblée.

L’année dernière en France, plusieurs groupes d’actionnaires salariés ont déposé dans les assemblées du CAC 40 des résolutions sur des sujets sociaux. Aucun n’a eu gain de cause, ils ont déjà indiqué qu’ils remettraient le sujet à l’ordre du jour. Le débat sur les retraites durcit la situation, et les contestataires se trouvent, ce printemps, confortés par l’exemple américain.

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