Promouvoir les meilleures pratiques des sociétés cotées

Informer

La veille de l'Hebdo des AG

L’édito de Bénédicte Hautefort

A l’aube d’une crise sociale, les assemblées générales 2020 ont renforcé le pouvoir des salariés

Les assemblées générales d’actionnaires, cette année, ont passé un cap. Sous la contrainte du confinement, elles ont basculé en format digital. Elles ont été plus interactives, plus transparentes sur les sujets financiers tout en faisant une large part à l’extrafinancier. Les entreprises ont placé leurs salariés au centre du jeu et célébré avec effusion le bonheur d’être ensemble; celles qui annoncent aujourd’hui des plans sociaux vont devoir repositionner le curseur.
Les sociétés maîtrisent désormais tous les secrets de la diffusion vidéo en direct, à tel point que celles qui ne l’ont pas proposée sont à présent montrées du doigt, comme Essilor-Luxottica et Publicis. La retransmission vidéo, réservée jusqu’ici aux grandes sociétés, s’est démocratisée d’un coup. Les entreprises les plus petites se sont hissées aux mêmes standards de communication que leurs grandes sœurs mille fois plus grosses, voire les ont surpassées: les ETI cotées ont été nombreuses à permettre aux actionnaires connectés de poser des questions tout au long de l’assemblée générale. Les grandes entreprises du CAC40 ont été plus frileuses, craignant des questions intempestives  : seuls Air Liquide, Cap Gemini et Total ont sauté le pas. L’assemblée digitale a permis aussi de drainer une nouvelle audience. La biotech bordelaise Fermentalg, l’auvergnate Metabolic Explorer, ou encore les parisiennes Nanobiotix et Gensight ont réuni en ligne 10 fois plus d’actionnaires que ceux qui se déplaçaient habituellement. En offrant une traduction simultanée de leur assemblée en anglais, comme les très grandes, elles ont parlé à tous leurs publics en même temps, courtoisie appréciée par les anglophones, habitués à être traités en second. 
Des assemblées du printemps, les entreprises vont aussi conserver le haut niveau de transparence dans le dialogue avec leurs actionnaires. En pleine crise, elles ont donné des informations que jusqu’ici elles avaient toujours tu, pour se protéger de leurs concurrents non cotés : les taux d’activité de leurs usines, le calendrier de redémarrage, le nombre de magasins ouverts, ou encore, comme Thierry Le Hénaff à Arkema, l’allocation du cash futur. Une fois ces indicateurs donnés, difficile de revenir en arrière, il va falloir les tenir à jour.

En matière extra-financière aussi, les sociétés ont franchi un cap. La crise a eu un effet de catalyseur : dix sociétés ont inscrit leur Raison d’Etre dans leurs statuts, comme Orange, Engie ou EDF ; Danone est allée jusqu’à choisir le statut d’ « entreprise à mission », se dotant d’un Comité de personnalités externes chargé d’auditer régulièrement sa feuille de route en matière de responsabilité sociale, environnementale et sociétale (« RSE »). La
communication extra-financière est désormais aussi quantifiée et précise que la communication financière : nombre d’accidents du travail, part de femmes parmi les managers, classement parmi les employeurs préférés des étudiants, réduction des émissions carbone. Partout, le mot « parties prenantes » est devenu incontournable. Il s’agit, comme Elie
Girard à Atos, d’expliquer que l’effort de crise est réparti sur les multiples communautés qui forment l’entreprise : ses salariés, ses dirigeants, ses actionnaires, ses clients, ses fournisseurs, ses actionnaires, les pouvoirs publics, tous se sont mobilisés.

Reste la délicate question des salariés. Les sociétés ont donné au printemps des signaux contradictoires. En assemblée générale, les salariés ont été traités en héros par les dirigeants pour leur rôle-clé pendant la crise. Hasard de calendrier, ils sont, en même temps, les salariés sont aussi entrés massivement dans les conseils d’administration, poussés par la loi Pacte; et les plans d’actionnariat salarié ont repris, renforçant leur part dans le capital.


A Arkema, l’opération d’épargne salariale menée pendant le confinement a été sursouscrite. Le tableau, cependant, n’est pas idyllique. Dans deux sociétés du CAC40, Axa et Safran, syndicats et management n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur un nom d’administrateur salarié, et ont porté le sujet devant les actionnaires, une première en France. Les candidats du management ont gagné, les syndicats ont perdu. Les conflits vont laisser des
traces. Autre nuage, certains dirigeants se sont décrédibilisés en faisant suivre leurs messages d’admiration par des annonces de plans sociaux. Comme Paul Hudson, nouveau directeur général de Sanofi, qui a pris la parole en assemblée générale le 28 avril pour exprimer sa fierté pour toutes les équipes de Sanofi qui se sont rendues sur le lieu de travail durant la crise sanitaire; et le 28 juin a annoncé la suppression de 1700 emplois, dont 1000 en France. Jacques Aschenbroich, directeur général de Valeo, a été plus prudent, peut-être plus sincère : il a remercié les salariés, sans excès ; et c’est un salarié lui-même, membre du Conseil d’Administration, qui a raconté la mobilisation de Valeo en temps de crise, en concluant sobrement par « Valeo a fait le job ». Valeo était en meilleure posture pour annoncer hier une nouvelle réduction des coûts salariaux.
B.H.


Publié sur challenges.fr le 9 juillet 2020

Numéro en cours

Numéro précédents