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L’édito de Bénédicte Hautefort

Le « monde d’après » se recentre sur les salariés

Les assemblées annuelles se sont organisées, tenues à huis clos pour respecter les mesures sanitaires, et la saison bat son plein. Coïncidant avec l’annonce des chiffres d’affaires du premier trimestre, elles sont la première prise de parole publique des dirigeants après le long silence de la crise. Ce printemps 2020, en parlant à leurs actionnaires, c’est en réalité d’abord à leurs salariés que s’adressent les chefs d’entreprise, préparant déjà « le monde d’après ».

L’empathie, la chaleur humaine et l’émotion prévalent. Avant d’aborder le futur, deux-tiers des dirigeants prennent le temps de partager leur peine, par un message pour les victimes de la crise sanitaire, et leurs proches. L’entreprise pleure parfois ses propres morts ; chez Nexity, c’est le message personnel d’Alain Dinin aux actionnaires, pour saluer la mémoire du directeur général, Jean-Philippe Ruggieri, emporté par la pandémie; chez Hermès, c’est aussi l’hommage, en ouverture, à Leila Menchari, créatrice des mythiques vitrines de la maison ; chez Société Générale, c’est la pensée du PDG Frédéric Oudea pour ses cinq collègues décédés, et leurs familles.

La crise a été un temps d’introspection collective, les dirigeants veulent en partager les fruits. C’est la première étape du « monde d’après ». Une entreprise sur deux cette année commence par se référer à son histoire, et à ses valeurs. Il y a les entrepreneurs : Air Liquide, qui rappelle qu’en 1902, ce sont 24 actionnaires individuels qui ont créé l’entreprise ; CapGemini, qui en appelle à son fondateur, Serge Kampf ; les guerriers : Eurazeo s’appuie sur le fait d’avoir traversé déjà bien des crises, dans le monde entier ; Chargeurs rappelle que le groupe, qui va fêter ses 150 ans en 2022, s’est constitué au lendemain de la guerre de 1870 et a déjà connu deux guerres mondiales et 90 crises militaires, sanitaires, économiques, politiques ou géopolitiques ; les géographes : Lorenzo Bini Smaghi, président de Société Générale, parle de la Raison d’Etre de la banque, explicitée en janvier 2020, comme d’une « boussole dans la crise ». Orange, Engie, EDF, et quatre autres entreprises encore, cette année, font un choix symbolique : elles inscrivent cette Raison d’Etre dans leurs statuts, à l’instar d’Atos et Carrefour l’année dernière.

Chaque entreprise insiste sur la dimension vertueuse et fédératrice de cet exercice. Les liens se sont resserrés entre les salariés, et avec les clients et les fournisseurs. Ilham Kadri, directrice générale de Solvay, cite cette expérience comme principal atout à conserver de cette crise. Le trait est commun à tous les secteurs, et d’autant plus fréquent que l’entreprise est plus petite : le chimiste Arkema, la foncière Covivio, l’opérateur Netgem, la biotech Gensight, le spécialiste des services Edenred, la télévision TF1 ou encore le parapétrolier Vallourec s’appuient, pour rebondir, sur la même énergie sociale. Les entreprises du CAC40 sont moins nombreuses.

L’heure est aux effusions. Les dirigeants remercient les salariés pour avoir su assurer la continuité de service, rappellent qu’ils ont toujours donné la priorité à la santé et à la sécurité des collaborateurs. Jean-Pierre Clamadieu, président d’Engie, ou encore Paul Hermelin, président de Cap Gemini, applaudissent la prouesse réalisée par des dizaines de milliers de personnes, passées, en quelques jours, en télétravail. Les plus grandes entreprises, celles du CAC40 surtout, aspirent à être reconnues comme « la deuxième ligne, juste après les soignants ». Au Crédit Agricole, Philippe Brassac, directeur général, se lance dans un plaidoyer pour faire reconnaître les banques comme service essentiel. Comme Jean-Pascal Tricoire, PDG de Schneider Electric, Antoine Frérot, PDG de Veolia, ou encore Yannick Bolloré, président du Conseil de Surveillance de Vivendi ;  Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF, rappelle que le président de la République lui-même a cité en exemple les équipes d’EDF.

Par contraste, les quelques entreprises qui ont choisi la sobriété se démarquent. Serge Weinberg, président de Sanofi, expose les impacts économiques de la crise, et affirme son engagement géopolitique en faveur d’une recherche pharmaceutique européenne. Ni lui, ni ensuite Paul Hudson, le nouveau directeur général, ne sont dans le registre émotionnel. Augustin de Romanet, président d’ADP, fait un exposé détaillé des effets financiers de la baisse du trafic aérien, sans aucune référence à la cause de la baisse : confiner, pour protéger.

C’est seulement après ce nécessaire rituel de remerciement, que les « patrons » esquissent le monde d’après. Souvent, ils s’expriment à la première personne du singulier, et parlent d’apprentissage, disant eux-mêmes que cette crise leur a appris la modestie et l’impossibilité des certitudes. Ils s’attachent à concilier court terme et long terme : ceux qui avaient présenté un plan pluri-annuel offensif confirment le cap : Engage 2025 pour Orange, énergies renouvelables 2021 pour Engie, plan 2024 pour Arkema ou encore plan 2022 pour Bic.

Les priorités à court terme convergent, quelles que soient les tailles, les situations économiques et les secteurs. Tous s’attendent à davantage de télétravail; prudent, Stéphane Richard, PDG d’Orange, précise que les modalités seront examinées avec les partenaires sociaux. Les organisations se sont recentrées sur le client et le resteront. Les parcours clients, dans tous les métiers, ont achevé à grande vitesse leur mue digitale. Les initiatives solidaires, très fortes en période de crise sanitaire, ont soudé les équipes. Nombreuses sont les entreprises qui explorent déjà de nouveaux territoires, pas nécessairement dans leur métier initial mais liés à cette expérience de deux mois de vie à la maison : e-education, e-commerce. 

La crise a resserré les liens et augmenté l’affect au sein de l’entreprise; il reste à ré-accueillir les 10 millions de personnes encore en chômage partiel, et confronter toute cette énergie positive à la réalité économique post-Covid.  Les salariés sont, plus que jamais, au centre du « monde d’après ».

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