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L’édito de Bénédicte Hautefort

AG à huis clos : les sociétés inventent les assemblées virtuelles, les investisseurs restent vigilants

Comment honorer l’incontournable rendez-vous avec les actionnaires, l’assemblée générale annuelle, quand on est confiné ? En avril et mai, habituellement, la saison bat son plein, du Palais des Congrès au Carrousel du Louvre. Le législateur a trouvé la solution : parmi les ordonnances dites « Covid » du 26 mars, figure la possibilité de tenir son assemblée « à huis clos ». 104 sociétés cotées ont déjà fait ce choix, parmi lesquelles la majorité des géants du CAC40 : Total, Sanofi, Air Liquide, Michelin ou EssilorLuxoticca par exemple. Seules quelques-unes ont préféré décaler leur date d’assemblée dans l’espoir de pouvoir, peut-être, la tenir physiquement : L’Oréal, Kering, LVMH ou encore Renaul ont ainsi repoussé leurs assemblées en juin.

Assemblée virtuelle oui, mais jusqu’où ? CNP, le 17 avril matin, a été la première à réunir une assemblée uniquement par téléphone, le président, les scrutateurs et le secrétaire de séance étant tous en des lieux différents. Un compte-rendu publié sur le site en faisait état, et les supports de présentation étaient également mis en ligne. L’après-midi du même jour, TF1 optait pour un rassemblement physique minimum, trois personnes pour l’assemblée, avec les distances de sécurité, et une pour filmer et projeter en direct. 56 sociétés du CAC40 ont annoncé le même choix d’une retransmission sur le vif : cela leur permet de garder le contact avec l’actionnaire, présent de l’autre côté de l’écran. Elles restent cependant prudentes avec les systèmes de visioconférence, qui aujourd’hui ont parfois mauvaise presse : les technologies choisies permettent de projeter en direct, mais pas d’accueillir des questions en retour ; il serait semble-t-il trop difficile de contrôler l’identité de l’interlocuteur. Pourtant, aux Etats-Unis, la plupart des Etats permettent aujourd’hui aux actionnaires non seulement de poser une question en direct lors d’une assemblée digitale, mais aussi de voter en direct. Quelques sociétés, pas encore les géants du CAC40, ont tenté l’aventure de l’interaction virtuelle, à la grande satisfaction de leurs actionnaires. Vallourec, le 6 avril, a ainsi permis les questions par « chat », avec un modérateur. EDF prévoit la même chose. La biotech. Nanobiotix, en cours d’introduction au Nasdaq et donc rodée aux usages américains, a prévu une assemblée par visioconférence réservée aux actionnaires : ils voteront d’abord par correspondance, et recevront en échange un code d’accès à une « salle digitale » réservée. Innovant d’une autre façon, certaines sociétés profitent de la puissance des réseaux sociaux : Airbus a posté le 16 avril sur YouTube les exposés vidéos de ses dirigeants : la puissance du réseau social lui a assuré, d’emblée, une visibilité 4000 fois supérieure au nombre de personnes habituellement réunies pour son assemblée annuelle. Icade a fait de même. Les systèmes de visio conférence « Teams » et « Zoom » s’implantent dans les assemblées des midcaps, qui traditionnellement ne rassemblent que peu de public et redynamisent ainsi leur relation actionnariale – la SSII Itesoft, vendredi, a rassemblé plus de 50 actionnaires connectés, quand son assemblée ne draine habituellement que 4 ou 5 personnes. Ces nouveaux usages resteront, même après le déconfinement.

Une nouvelle façon de s’adresser aux actionnaires pourrait aussi bien faire partie du « monde d’après ». En basculant l’assemblée générale dans un monde virtuel, certains dirigeants personnalisent la relation avec l’actionnaire, davantage que ce qu’ils faisaient lors des assemblées traditionnelles. Thierry de la Tour d’Artaise, PDG de SEB et Jacques Gounon, PDG de Getlink ont écrit personnellement à leurs actionnaires pour expliquer leur choix de tenir l’assemblée sans présence physique, parce que des décisions devaient être votées et ne pouvaient attendre. Gilles Pélisson, PDG de TF1, a maintenu son regard dans la caméra une demi-heure durant, pour répondre à chacune des questions envoyées avant l’assemblée par les actionnaires – de façon presqu’aussi vivante qu’un face-à-face.
Reste que l’assemblée annuelle est aussi un rendez-vous juridique. Les actionnaires votent, et ne relâchent pas leur vigilance, même confinés. Sur la vingtaine d’assemblées déjà tenues, les niveaux de participation sont supérieurs de 3 points à 2019, et les scores d’approbation en recul de 8 points sur les sujets de rémunération. Les offensives activistes sont lancées sur Scor, sur Lagardère, et un collectif de onze investisseurs vient de déposer une résolution Climat chez Total. Même « à huis clos », ces assemblées seront hautes en couleurs. Pour garantir le bon déroulement, un organe clé est, pour chaque assemblée, le « Bureau » : constitué, normalement, du président de et des deux premiers actionnaires présents, il peut par exemple valider ou invalider des droits de vote – comme en 2019, quand l’assemblée de Lagardère a invalidé une partie des droits de vote d’Amber Capital. Quand un investisseur activiste est à l’offensive, le « Bureau » est l’une des premières citadelles qu’il prend d’assaut. Or, depuis le début des assemblées « à huis clos », ces Bureaux sont constitués exclusivement des salariés ou avocats des sociétés concernés – au nom de leur absence physique, les autres actionnaires sont exclus, alors que précisément la loi permet aujourd’hui de réunir un Bureau par téléphone, comme l’a démontré CNP. Siéger dans les Bureaux devenus virtuels, voilà qui pourrait bien être le prochain combat des activistes version 2020.

Edito publié dans Challenges 21 avril 2020

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