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La veille de l'Hebdo des AG

L'édito de Bénédicte Hautefort

La vraie vie n’est pas comme dans « Faux Jetons »

L’Hebdo des AG publie cette semaine un extrait des « Faux Jetons », le livre à charge de la journaliste Sophie Coignard sur les Conseils d’Administration du CAC 40.

L’extrait choisi est le chapitre 7, celui où la journaliste décrit la naissance du Code Afep-MEDEF, et les progrès réalisés depuis. Tous les autres chapitres, malheureusement, sont des récits uniquement à charge, visant à démontrer que les sociétés du CAC40 sont gouvernés par des administrateurs pleutres, aux règles opaques, et trop payés (d’où le titre, en référence aux jetons de présence).  C’est dommage, parce que Sophie Coignard est une grande professionnelle, et nous avions mis toutes les données de l’Hebdo des AG à sa disposition pour cette enquête. Si nous en parlons, c’est parce que nous avons été choqués par le biais polémique, voire populiste choisi par l’auteure. Ce livre signifie aussi que les Conseils du CAC40 renvoient une bien mauvaise image, même pour une journaliste avertie, et qu’il y a encore beaucoup de pédagogie à faire.

Certaines affirmations sont simplement fausses. Un exemple : il est indiqué (page 250) que les seuls modes d’expression du Haut Comité de Gouvernance sont des courriers confidentiels ; c’est faux, le HCGE prend aussi des positions publiques, par voie de communiqués de presse – comme le 22 mars 2019 pour désapprouver le « package » de Thierry Pilenko, dirigeant sortant de Technip. Autre exemple : les Conseils sont supposés inutiles et paresseux, laissant la bride sur le cou aux dirigeants, eux-mêmes supposés avides et allant contre l’intérêt des actionnaires. Sophie Coignard oublie qu’en dix ans, les Conseils du CAC40 ont révoqué ou provoqué la démission de la moitié des dirigeants ; la « durée de vie » moyenne d’un dirigeant du CAC40 a été réduite de 30% ; 15 des dirigeants actuels du CAC40 sont en poste depuis moins de 3 ans. Comme l’auteure l’écrit elle-même, « il faut que ça crache », sinon le dirigeant est rapidement remercié.

D’autres faits relatés sont exacts, mais présentés de façon incomplète. Certes, le CAC40, comme tout groupe humain, compte une poignée d’administrateurs dysfonctionnels. Mais le CAC40 compte aussi plus de 500 administrateurs qui font le job, travaillent leurs dossiers, se documentent par eux-mêmes, challengent les dirigeants quand c’est nécessaire – parfois jusqu’à l’excès. Les dysfonctionnels sont bien identifiés par tout le sérail, et partent petit à petit, à la fin de leur mandat. D’où l’amélioration générale que note Sophie Coignard elle-même. Et pourquoi ne parler que du CAC40 ? le choix de ce périmètre parisiano-parisien n’est-il pas, en soi, un choix d’arrière-garde, à l’heure où la France s’attache à mobiliser tous ses territoires ? On compte plus de 450 entreprises cotées en France, environ 5000 administrateurs, ce sont les pratiques de gouvernance de ces 5000 là qu’il faudrait passer à la loupe, pour avoir une opinion.

Le plus choquant, à mes yeux, est la conclusion. Pour assainir le fonctionnement des Conseils,  les voies de salut viendraient forcément de l’extérieur ; ce seraient soit les investisseurs activistes, pour leurs méthodes radicales, soit le pouvoir politique, pour son pouvoir d’influence.

Vraiment ? C’est oublier que les activistes comme Elliott, Corvex, ou autres Amber sont à l’origine du court-termisme qui ruine (au sens propre) nos entreprises; c’est ce court-termisme qui a fait exploser les rémunérations des dirigeants. Est-ce qu’un dirigeant qui aurait plusieurs années devant lui obtiendrait des bonus à un an? Est-ce qu’il enchaînerait les « parachutes dorés », s’il restait un peu plus longtemps dans chaque poste ? La logique d’un activiste que Sophie Coignard appelle de ses vœux est, il ne faut jamais l’oublier, de faire du profit à court, voire très court terme. On est loin de la « raison d’être » et du rôle sociétal de l’entreprise, qui elle est dans la feuille de route de chaque administrateur.

Quant à l’appel à une ingérence accrue du politique dans la vie des entreprises …. Pour mémoire, au Conseil de Renault, ouvertement mis en cause dans ce livre, l’Etat comptait deux administrateurs, et ils n’ont pas posé plus de questions que les autres sur la rémunération de Carlos Ghosn – l’un d’eux n’est même carrément jamais venu à aucune réunion, tout en restant administrateur – seul administrateur du CAC40 dans ce cas. Il a, depuis, quitté le Conseil, mais a été promu par l’Etat. De même pour la retraite de Tom Enders – quand le Ministre de l’Economie affirmait publiquement son désaccord, l’Etat-actionnaire siégeant au Conseil d’Airbus approuvait le versement, et se taisait devant les actionnaires réunis en assemblée générale. En d’autres termes, l’Etat-actionnaire aussi est parfois perfectible, quand il s’agit de sa performance d’administrateur. Parfois, pas toujours : ce sont ces nuances qui manquent au livre.

« Faux Jetons » est bourré d’anecdotes croustillantes, mais la vraie vie d’administrateur, d’administratrice, n’est pas cela. C’est une vie nuancée, laborieuse, faite de milliers de trains qui arrivent à l’heure et dont personne ne parlent, parce que quelques-uns sont en retard (sujet d’actualité !). La question est de savoir comment le CAC40 en est arrivé à renvoyer une image aussi loin de la réalité.

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