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L'édito de Bénédicte Hautefort

La saison d’AG 2019 : les salariés se sont imposés au cœur du débat

Carrefour a tenu vendredi 14 juin son assemblée générale, la dernière du CAC 40, et conclu la saison 2019 comme elle avait commencé : dans l’affrontement entre actionnaires et équipe dirigeante, avec les salariés au milieu. La saison 2019 devait être celle d’une paisible convergence des parties prenantes autour de la « raison d’être » de la loi Pacte ; c’est plutôt celle de l’éclatement. Quelques sociétés montrent la voie, comme Danone, Saint-Gobain ou le nouveau Renault.

La contestation des rémunérations s’est poursuivie, sans d’autre coup d’éclat mais efficace : les actionnaires ont simplement voté non. Les dirigeants de CGG ont été privés de « bonus », tout comme Carlos Ghosn ; sept dirigeants exécutifs du SBF120 ont vu leur rémunération votée de justesse (à moins de 60% d’approbation), quand ils n’étaient que deux en 2018.

La nouveauté de cette saison est la mise en cause des administrateurs eux-mêmes.  En deux mois, la grogne a remonté la chaîne de décision pour atteindre le cœur du réacteur, les conseils d’administration. Début avril, ce n’était « que » les rémunérations chez Technip, Kering et Airbus qui avaient choqué. Les candidatures d’administrateurs des mêmes sociétés n’avaient pas posé problème. Chez Carrefour, c’est l’équipe dirigeante même qui est contestée, à la fois par les syndicats massés aux portes de l’assemblée, et par les investisseurs qui ont voté contre les candidatures des grandes figures du Conseil d’Administration de la société – Alexandre Arnault, Thierry Breton ou encore Abilio Diniz. Ils sont confirmés dans leurs fonctions, mais avec des scores inférieurs à 80%, un niveau qui dans d’autres pays que la France impose aux sociétés de s’expliquer devant leurs actionnaires. Quinze autres administrateurs du CAC 40 sont dans le même cas, soit plus du double de 2018.

Les salariés ont joué un rôle de pivot. Ils représentent, en moyenne, 3% de l’actionnariat du CAC40, et ont été très présents. La loi Pacte prévoit de renforcer leur poids, et cela pourrait bien faire basculer certaines des décisions qui passent aujourd’hui de justesse. Parfois, cela a été l’affrontement : manifestations syndicales comme chez Carrefour, Atos ou Sanofi, dépôt de résolutions dissidentes comme chez Orange. Dans d’autres cas, les salariés ont été placés par la société au centre des débats, comme chez Saint-Gobain, où Claire Pedini, responsable des ressources humaines, a organisé lors de l’assemblée générale une table ronde sur les enjeux de la digitalisation. Les actionnaires manifestent leur soutien, qu’il s’agisse des actionnaires individuels prenant la parole en assemblée, ou des investisseurs institutionnels qui soutiennent les augmentations de capital réservées aux salariés.

Les « proxy », si redoutés les années précédentes, ont perdu de l’influence, au fur et à mesure que les sociétés ont repris la main sur les relations investisseurs, en multipliant les « roadshows gouvernance ». ISS, Glass Lewis et Proxinvest jouent un irremplaçable rôle d’alerte, mais avec des recommandations si souvent divergentes qu’elles imposent aux investisseurs de mener leur propre réflexion – qui s’avère souvent plus sévère pour la société.

Reste un autre arbitre, dans ces élections comme dans toutes : la foule des abstentionnistes. La France détient le record d’abstention des actionnaires aux assemblées générales – plus de 35% d’abstention dans le CAC 40 cette année, quand le niveau se réduit à moins de 20% chez nos voisins allemands, britanniques ou américains. Or, tout l’environnement réglementaire aujourd’hui bouge en faveur d’une plus grande facilité à voter. Comment se comportera alors ce « réservoir de voix » ?  Il suffit aujourd’hui de quelques points dans un sens ou dans l’autre pour faire basculer le sort de nombreux dirigeants.

B.H

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