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La veille de l'Hebdo des AG

L'édito de Bénédicte Hautefort

La Place de Paris s’anime aujourd’hui autour de l’affaire Scor/Covea : Thierry Derez a-t-il véritablement utilisé sous sa casquette « actionnaire » des documents reçus sous sa casquette « administrateur » ? Si oui, comment prévenir ce type de dysfonctionnement ? Est-il vrai qu’ailleurs qu’en France la loi protège mieux ?
Plusieurs pistes sont avancées, dans le sens d’une formalisation accrue. Me Etienne Mathey, du cabinet Paul Hastings, explique que l’arsenal juridique sur ces questions relève en France de principe de dissuasion : rien n’empêche en pratique à un administrateur de transgresser des règles de conflit d’intérêt ou d’engagement de confidentialité, mais les sanctions en cas de manquement sont lourdes, y compris au pénal. Une idée pourrait donc être de formaliser davantage des dispositifs de gardefous. Viviane Neiter, spécialiste de la gouvernance très active à l’international, souligne que de tels mécanismes existent bien, dans les pays anglo-saxons ; notamment, la formation des administrateurs aux aspects de « compliance », et la digitalisation accrue de tous les aspects pour éviter des pratiques dérogatoires.
 
Une autre piste est celle de l’observation de ce qui fonctionne : la gestion des conflits d’intérêts par les administrateurs salariés.
Souvenons-nous, en 2013, les premières nominations d’administrateurs salariés. La crainte de l’ensemble de la place était la façon dont ils allaient gérer l’étanchéité avec les CE, et les syndicats, notamment sur les informations sensibles que peuvent être les projets stratégiques et les questions sociales. Il est vrai que le risque de conflit d’intérêt est grand : les CE nomment directement les administrateurs salariés, quand un administrateur proposé par un actionnaire doit quand même être élu par l’assemblée générale. Le fait est que les administrateurs salariés gèrent très bien ce conflit d’intérêt. Aucun cas, depuis 2013, de dérapage d’un dossier parce qu’un administrateur salarié l’aurait indûment communiqué à son CE. A titre personnel, siégeant dans deux conseils dont l’un a connu sur cette période une opération stratégique qui imposait la plus grande confidentialité, et l’autre un plan de restructuration également très sensible, je peux attester que les administrateurs salariés ont eu un comportement exemplaire à la fois dans la participation aux débats du conseil, et dans l’étanchéité par rapport au CE et aux syndicats.
Que pouvons-nous en apprendre ? D’abord, que les administrateurs salariés sont « nouveaux » ; ils ne viennent pas du sérail. C’est peut-être, pour nous administrateurs « classiques » (je me place dans cette catégorie) une leçon de modestie : notre façon de voir les conflits d’intérêts a peut-être besoin d’un bon coup de remise en cause et de dépoussiérage.
 
Ensuite, les administrateurs salariés sont obligatoirement formés aux sujets de compliance, parce que la loi l’impose (40 heures de formation par administrateur). Nous pourrions rendre cette formation obligatoire pour tout administrateur. Ce serait fastidieux mais in fine chacun y apprendrait sans doute quelque chose, un peu comme dans les stages pour les permis à points.
Enfin, les administrateurs salariés ont eu la volonté d’être exemplaires en termes d’intégrité. Ils savaient bien qu’ils étaient montrés du doigt, ils savaient bien que certaines sociétés, au début, tenaient des séance de conseils en double pour qu’ils n’aient pas toutes les informations ; ils savaient bien qu’ils n’étaient pas partout les bienvenus. Aujourd’hui, 5 ans après leur arrivée dans le paysage français, les administrateurs salariés se sont imposés par le respect strict des règles humaines d’intégrité, le bagage technique acquis par la formation, par leur finesse dans la gestion du conflit d’intérêt structurel qu’ils ont avec le CE.
A mon sens, un exemple à suivre, avant de songer à de nouvelles lois.
B.H

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