Nous consacrons ce numéro de l’Hebdo des AG à répondre à cette question récurrente des actionnaires : pourquoi les cours de bourse sont-ils (parfois) déconnectés des performances économiques réelles ?
La finance comportementale nous donne des clés. Le comportement des acteurs des marchés financiers, en effet, n’est pas toujours rationnel, mais, dans son irrationalité, reproduit des schemas répétitifs, qui deviennent prévisibles, et donc modélisables. Cette science n’est pas nouvelle, mais s’impose de plus en plus en économie financière. Le prix Nobel d’Economie 2012 était attribué à Lloyd Shapley et Alvin Roth pour leurs travaux sur la théorie des jeux, qui repose sur l’observation apparemment simple que les cours de bourse étant le résultat de l’offre et de la demande, les prises de positions des différents investisseurs se font en fonction de ce que chacun pense que l’autre va acheter ou vendre, et non en fonction des seules performances de la société concernée – c’est ce qui fait que les rumeurs de marché ont autant d’impact. Et en 2017, le Prix Nobel d’économie était attribué à Richard Thaler pour le « nudge », le fameux « coup de pouce » qui fait qu’un acteur économique sera incité, au carrefour d’un arbre de décision précédemment modélisé, à prendre une décision plutôt qu’une autre.
Ces nouvelles grilles de lecture arrivent aux entreprises cotées au moment où elles en ont le plus besoin : elles ont en effet changé d’interlocuteur et leur communication ne s’est pas encore tout à fait adaptée. Les entreprises s’adressent aujourd’hui presqu’uniquement aux investisseurs, quand elles parlaient, jusqu’à peu, surtout aux analystes. L’investisseur est celui qui investit; l’analyste est celui qui, chez le broker, publie des recommandations d’achat ou vente articulées sur des argumentations approfondies. Jusqu’à 2008, l’analyste était au centre du jeu, et les entreprises, de façon naturelle, avaient développé une communication financière ad hoc, très rationnelle donc, répondant à la question « quelle est la projection de cashflow de cette entreprise? ». La question que se pose l’investisseur est « dois-je investir maintenant dans cette société en particulier ? », question qui intègre des paramètres beaucoup plus complexes et beaucoup moins rationnels, mais avec des biais répétitifs, donc prévisibles. Un exemple concret : l’investisseur est presque toujours plus prudent que l’analyste ; c’est qu’il surpondère inconsciemment son risque, alors que l’analyste est parfaitement rationnel dans ses calculs d’espérance de gain – mais ce n’est pas son propre argent – phénomène bien connu de la finance comportementale.
Quand le cours de bourse évolue d’une façon qui nous semble « irrationnelle », c’est que nous pouvons progresser dans notre décryptage, et adapter ensuite la communication … Les outils existent désormais, il faut les utiliser.