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La veille de l'Hebdo des AG

L’édito de Bénédicte Hautefort

Quand le bonus des dirigeants dépend à 20% de leur performance RH : primes Macron, augmentations, plans d’actionnariat salarié

A peine les « primes de partage de la valeur » annoncées, Bouygues a parlé : le groupe va verser une prime de 500 à 1000 euros à certains de ses salariés, en plus d’augmentations indexées à l’inflation. Un mouvement emblématique des entreprises de toutes tailles cet automne. L’enjeu de ces mesures sociales est d’accompagner au mieux leurs équipes, devenues un actif crucial quand le marché de l’emploi penche aujourd’hui du côté des salariés. Et pour les dirigeants, il s’agit aussi prosaïquement de sécuriser une part importante de leur bonus 2022, qui dépend cette année en moyenne à 20% de leur gestion des ressources humaines.

Les salariés sont cet automne du bon côté du manche. Entre inflation et chômage partiel, ils auraient pu devenir frileux. Il n’en est rien. Le nombre de demandeurs d’emploi a baissé de 15,6% en un an, un million de postes restent encore à pourvoir en France après les confinements, et le « Big Quit » venu des Etats-Unis continue à se développer en France. C’est le mouvement de masse qui conduit des millions de personnes à démissionner, sans forcément avoir sécurisé un autre emploi. Au premier trimestre, un demi-million de Français ont quitté leur poste de salarié en CDI, 20% de plus qu’en 2019. Les entreprises, en réaction, abordent l’automne en multipliant les mesures sociales.

A l’origine du « Big Quit », il y avait la quête de sens et de bien-être au travail : télétravail, horaires souples, sujets stimulants, salaire. C’est ce dernier volet financier qui a pris le pas cet automne. Pour rester, les salariés formulent désormais surtout des demandes de primes et d’augmentations de salaires. Il leur faut faire face à l’inflation, qui atteint 5,8% à fin août. Le prix de l’électricité est plafonné en France, mais pas ailleurs. Le prix du gaz grimpe, et les adeptes du télétravail s’inquiètent pour leur facture de chauffage. Les syndicats demandent une prise en charge par l’employeur. Et puis il y a le chômage partiel, qui touche de plus en plus d’entreprises, de toutes tailles, qui préfèrent fermer provisoirement, en attendant que l’énergie soit moins chère. L’acieriste ArcelorMittal a fermé trois hauts-fourneaux en Europe et a fortement réduit le site français historique de Florange ; le verrier Duralex a arrêté ses fours à la Chapelle Saint-Mesmin, près d’Orléans.

Pour conserver leurs salariés, les entreprises  annoncent hausses de salaires, plans d’épargne salariale et « primes de défense du pouvoir d’achat », nouveau dispositif mis en place par le gouvernement d’Elisabeth Borne, dans la continuité des « primes Macron ». ArcelorMittal va verser 1000 euros à chaque salarié, dès octobre. Carrefour a engagé des négociations en proposant 100 euros à chaque salarié, en plus de la remise sur achat de 12%, carburant compris, et 2% d’augmentation au 1er novembre, soit au total 8% depuis un an. Michelin a augmenté les salaires de 5%, en deux fois. Air France a augmenté les salaires de 5% pour tous ses employés, y ajoutant une prime de 1 000 euros. Renault et Stellantis ont annoncé être en négociations. Simultanément, les opérations d’actionnariat salarié n’ont jamais été aussi nombreuses : les entreprises veulent fidéliser. Les géants Engie, Veolia, EssilorLuxoticca, Valeo, Arkema, et la midcap Believe tout récemment entrée en bourse ont toutes annoncé ce mois-ci des opérations d’actionnariat salarié fortement incitatives, avec des décotes allant jusqu’à 40% par rapport au prix payé par les autres actionnaires.

La motivation des entreprises est bien entendu d’abord la sécurisation de leur capital humain. Mais pas seulement. Les dirigeants jouent aussi une carte personnelle : 20% de leur bonus dépend cette année de leur performance en gestion des ressources humaines, un coefficient qui a doublé en un an. Le sujet se décline en féminisation des équipes, formation des collaborateurs, amélioration de la santé et sécurité au travail, qualité du dialogue social, engagement des équipes et bien-être au travail. En doublant le poids de ces critères lors des assemblées du printemps 2022, les actionnaires ont voulu contrer le « Big Quit ». Ils ont été visionnaires. Ils ont certes aussi défini 80% d’autres critères plus traditionnels, la stratégie climat, la performance financière et le plan d’action personnel du dirigeant. Mais aujourd’hui, la stratégie climat a été mise à mal par le redémarrage des centrales charbon, et la performance financière souffre de l’inflation. Les salariés pourraient bien être la bouée de sauvetage des bonus 2022 de leurs patrons.

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