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L’édito de Bénédicte Hautefort

NORDEA : quand l’assemblée des actionnaires devient une tribune politique

Après la mobilisation humanitaire, puis économique, les chefs d’entreprise vont-ils un cran plus loin dans l’engagement en faveur de l’Ukraine ? L’initiative de NORDEA est une première. Le groupe financier des pays nordiques vient de transformer son assemblée annuelle à Helsinki en tribune politique, pour soutenir l’Ukraine. Les dirigeants auraient pu se contenter de commenter leur performance record, les 30 000 employés du groupe, leur classement comme trentième banque du monde. Passant rapidement sur leurs succès, ils ont centré le dialogue sur la condamnation sans ambigüité de l’intervention de Vladimir Poutine en Ukraine.

Pour renforcer un tel message, ils ont travaillé la forme. La réunion est digitale, donc retransmise, ce qui augmente encore sa portée. Dès l’ouverture, l’actionnaire internaute est mis en condition. Par un choix scénographique qui ne peut être un hasard, la salle est habillée aux couleurs de l’Ukraine : bleu omniprésent comme le logo de la banque, mais ponctué de bouquets de jonquilles jaunes.

Les dirigeants de NORDEA prennent la parole d’un air grave, pour condamner fermement, et nommément, l’intervention de Vladimir Poutine en Ukraine. Cela tranche avec les joyeuses présentations de résultats que tiennent, le même jour, d’autres entreprises européennes. Et c’est bien davantage que les initiatives qu’ils ont été les premiers à prendre, au tout début du conflit il y a un mois. NORDEA avait annoncé un don de 500 000 euros à l’UNICEF et à la Croix-Rouge, de l’aide à la collecte d’objets essentiels, la gratuité des services bancaires pour les acteurs humanitaires impliqués, et la sortie de tous les fonds d’investissement ou instruments financiers russes. NORDEA est aussi à l’origine de l’association d’accueil de réfugiés « A safe start in Sweden ». A présent, c’est d’engagement politique et personnel qu’il s’agit.

Bien sûr, cette hyper-sensibilité s’explique en partie par la géographie. Les Finlandais sont  en première ligne. Depuis le début du conflit, ils soulignent les analogies entre l’attaque de l’Ukraine par la Russie et le conflit qui opposa leur pays à l’envahisseur soviétique entre 1939 et 1940, la « guerre d’hiver » qui a fondé leur identité nationale. Ils sont aussi très concernés, parce qu’ils accueillent des milliers de Russes qui quittent leur pays pour protester contre la guerre. Mais la mobilisation de NORDEA va plus loin que celle d’une entreprise finlandaise qui obéirait à une injonction gouvernementale. L’état-major qui s’exprime aussi clairement est en effet suédois, danois, britannique, tout autant que finlandais. Torbjörn Magnusson qui ouvre le débat est suédois, il représente le groupe Sampo, l’actionnaire de référence de la banque, qu’il préside encore quelques mois avant de passer le relai à un Britannique, Stephen Hester, qui dirigeait jusqu’ici EasyJet. Puis c’est un Danois qui prend la parole, Frank Vang-Jensen, le président-directeur général de NORDEA. Les actionnaires poursuivent, sur le même ton. Après avoir écouté les exposés d’usage sur la situation économique florissante de la banque, c’est pour parler de l’Ukraine et dire leur soutien au management qu’ils prennent la parole. Aucun n’est intervenu pour ramener le dialogue sur les sujets habituels du dividende, de la rémunération des dirigeants et de la proportion de femmes parmi les salariés. Aucun actionnaire, non plus, n’a protesté sur le risque pris en s’opposant à la Russie, les conséquences financières négatives sur 2022, les implications stratégiques à moyen terme.

NORDEA a démontré avec cet événement que ses actionnaires répondaient présent quand on leur demande d’aller plus loin que leur engagement économique. Le choix politique des dirigeants de NORDEA était une première, les prochaines semaines diront si d’autres dirigeants en Europe leur emboitent le pas.

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