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L’édito de Bénédicte Hautefort

Maersk : oui aux efforts pour l’Ukraine, non aux super bonus des dirigeants

L’assemblée de Maersk s’est tenue la semaine dernière. Maersk est le deuxième armateur mondial, toujours premier employeur du Danemark, fondé par la famille éponyme, première fortune danoise, et, d’après Forbes, la 84ème fortune mondiale, comparable en montant à nos Français Vincent Bolloré ou Jean-Michel Besnier. Son assemblée est emblématique de ce début de saison 2022, à la fois dans son éclat et sa part d’ombre. Aux côtés du management sur les grandes causes comme l’Ukraine, contestataires sur des rémunérations qui montent en flèche, les actionnaires de Maersk sont emblématiques de tous les actionnaires d’Europe.

Tout commence par le format : une assemblée purement digitale, avec Q&A et vote en direct. La visioconférence est en danois et en anglais, les slides sont très épurés, tout est fait pour que l’événement digital soit convivial. Au Danemark, chaque point de l’agenda fait l’objet d’un court exposé, puis d’un débat, puis d’un vote, au fur et à mesure du déroulé de l’assemblée. Une pratique dont nous pourrions nous inspirer pour nos assemblées françaises, où le Q&A est relégué en fin de séance.

En ouverture, le président Jim Hagemann Snabe s’engage en faveur de l’Ukraine. Maersk s’est retiré de Russie, a cessé de desservir les ports russes, et de faire transiter par la Russie son fret circulant entre l’Europe et l’Asie. Maersk a aussi annoncé son intention de céder sa participation de 31% dans Global Ports, société russe cotée à Londres, opérateur de six terminaux en Russie et Finlande. Les actionnaires demandent davantage : que Maersk cesse aussi à cette occasion toutes ses activités dans des pays où les droits de l’homme ne sont pas respectés, comme le Myanmar. Cette prise de position sur l’Ukraine, c’est l’ouverture de toutes les assemblées de ce printemps, dans tous les pays d’Europe. 

Puis vient l’annonce qui fait bruisser toute la presse danoise depuis un mois : Jim Hagemann Snabe cède la présidence à Robert Maersk-Uggla, l’héritier de 43 ans, avec déjà une solide expérience de sept ans de conseil de surveillance. Depuis 2003, la famille Maersk s’était écartée de la présidence, préférant s’en tenir à son seul rôle d’actionnaire de référence. Mais aujourd’hui, les familles reviennent aux commandes, au Danemark comme ailleurs. Les actionnaires applaudissent. Le capitalisme familial, depuis mars 2020, a montré sa résilience. 

L’assemblée se poursuit avec le rappel des grands succès de 2021, avant que n’éclate la guerre d’Ukraine. Maersk avait achevé sa mutation de conglomérat en groupe logistique intégré, clair et engagé dans une démarche écologique ; les activités ne répondant pas aux critères sont sorties du périmètre, tout en gardant comme actionnaire de référence la famille Maersk – comme les activités de forage pétrolier, ou la banque. Maersk a pris la vague de « verdissement » du périmètre, mobilisant pour cela jusqu’à sa stratégie M&A. Il en va du financement de l’entreprise. Là aussi, les actionnaires applaudissent. 

Maersk poursuit avec ses résultats financiers, excellents en 2021, comme pour de nombreuses entreprises. Un actionnaire fait remarquer que ce succès spectaculaire – un résultat net multiplié par 6 – doit beaucoup à l’augmentation des prix de marché du fret, ce qui peut être conjoncturel. 2022 sera plus difficile. De nombreuses entreprises cette année sont dans la même situation. Adepte avant l’heure de l’ «ambition lucide», Maersk propose un dividende modéré (48% du résultat net), les actionnaires votent pour à la quasi-unanimité.

Et puis, comme partout, on termine au Danemark par la rémunération du dirigeant. Maersk propose 5,8 M€ pour son directeur général, soit 37% de plus qu’en 2020, et 1 M€ pour son nouveau président. Les actionnaires interviennent d’abord pour souligner la contradiction avec des salaires moyens très bas, ce qui est visible à travers un ratio d’équité croissant, à 175 en 2021 – à comparer à un ratio moyen en-dessous de 50 pour la moyenne du CAC 40. Puis d’autres actionnaires dénoncent les nombreuses mises en cause des conditions de travail dans les terminaux opérés par Maersk, et des plaintes concernant les chauffeurs routiers. Le monde merveilleux dépeint en première partie d’assemblée est finalement plus complexe. Le CEO explique qu’il y a effectivement des réductions de coûts, de temps de travail, de salaire au final pour les employés. Au final, la rémunération des dirigeants est largement approuvée, grâce au poids de la famille Maersk. Mais les actionnaires du flottant ont voté contre. 

Lorsque leurs dirigeants leur avaient demandé, en 2020, de faire des efforts pour lutter ensemble contre la Covid, les salariés avaient accepté, et cela les avaient même soudés, chez Maersk comme ailleurs. En 2020, les dirigeants de tous les pays d’Europe avaient réduit leurs rémunérations de 25%, voire plus. Mais demander aujourd’hui aux salariés de faire des efforts financiers, fût-ce pour l’Ukraine, et s’octroyer des augmentations à deux chiffres, cela ne passe ni pour les salariés, ni pour les actionnaires.

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