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L’édito de Bénédicte Hautefort

Sans administrateurs salariés, pas de plans d’épargne salariale : les effets inattendus de la loi Rebsamen

Generix Group est une pépite française. L’éditeur de logiciels SaAS spécialisé en logistique affiche une croissance à deux chiffres, approche les 80 M€ de chiffre d’affaires, valorisé 4 fois plus, est présent dans 60 pays, compte parmi ses clients Carrefour et Intermarché, entre autres. Son comportement vaut exemplarité. Or, en matière de partage des fruits du succès, la famille Deconninck fait comme les fondateurs d’ETI cotées de la même taille : elle vote contre l’autorisation d’augmentation de capital réservée aux salariés. Et les salariés de Generix n’ont que 0, »% du capital, constitué d’actions gratuites du management, et non pas d’un fonds d’épargne salariale. Mais pourquoi ? La même entreprise recrute massivement, et affiche des indicateurs au beau fixe en matière de fidélisation des équipes. Ce n’est donc pas la relation salariés – employeur qui est en cause.

Ce qui est en cause, c’est l’habitude, et le fait que Generix n’a pas bénéficié de l’aiguillon de la loi Rebsamen. 150 autres entreprises cotées au CAC Alltradable à Paris sont, comme elle, passées en-dessous du radar. La loi Rebsamen portait sur les administrateurs salariés, mais ses effets sont allés bien au-delà. Elle détermine aujourd’hui le vote sur les plans d’épargne salariale.

Historiquement, les autorisations d’augmentation de capital réservée aux salariés ont été qualifiées de « techniques ». Croyant bien faire, le législateur avait imposé que le sujet de l’actionnariat salarié soit présenté au vote des actionnaires au moins tous les trois ans, et plus fréquemment si des augmentations de capital étaient votées entretemps. Les entreprises ont longtemps voté contre de façon automatique. La loi dite « de simplication » en 2019 a levé cette obligation, constatant qu’elle était inefficace, et qu’il existait d’autres moyens de développer l’épargne salariale.

Depuis, les grandes entreprises n’inscrivent plus le sujet à l’ordre du jour, ou alors votent pour. Les actionnaires dits « du flottant » ont emboité le pas aux pouvoirs publics, les « proxy » ISSGlass Lewis et Proxinvest ont approuvé, les investisseurs institutionnels ont voté pour. Au cœur du CAC 40, EssilorLuxoticcaHermès et LVMH votent pour, Kering est en 2021 la seule à continuer à voter contre, sans explication. Ce n’est pas pour cela que la famille Pinault n’aime pas ses salariés. Un peu plus loin, les pratiques ont changé aussi : BicBiomérieuxBolloréJCDecauxPlastic Omnium (hautement symbolique, Laurent Burelle étant le président de l’Afep), M6Rémy Cointreau ou Rubis votent pour, quand EliorKaufman&Broad et Derichebourg sont la toute petite minorité qui se prononce contre.

Mais pour les « midcaps », les ETI cotées, les pratiques n’ont toujours pas basculé. Le vote contre reste la pratique majoritaire, comme chez Generix. Depuis le début de l’année, 25 ETI cotées sur 150 ont voté contre, autant que les années précédentes.

Le frein, c’est tout en haut de la pyramide, la composition du Conseil d’Administration. Dans les « midcaps », les salariés ne siègent en général pas au Conseil, à la différence des grandes. La loi a fixé à 1000 salariés le seuil minimum à partir duquel elle impose de nommer un salarié administrateur. Sur 150 « midcaps » cotées à Paris, seulement 17 ont intégré un administrateur salarié. Ose ImmunoPlastivaloireSqliBastide Le Confort, ou encore Akka Technologies. Ce sont les mêmes qui votent pour les autorisations financières réservées aux salariés.

La loi Rebsamen a bel et bien changé la donne, sur un registre inattendu. En 2015, l’esprit du législateur était d’imposer les administrateurs salariés pour modérer les rémunérations de leurs patrons. Ce fut un échec : les salariés ont bien compris qu’il était de leur propre intérêt de faire monter les émoluments de leur dirigeant, plus ou moins indexés aux leurs. En revanche, quand il y a un administrateur salarié autour de la table, les Conseils ne recommandent plus de voter contre un plan d’épargne salariale. Cela pousse l’actionnariat salarié, et pourrait bien, à long terme, s’avérer bien plus déterminant pour la gouvernance que les critères de bonus du dirigeant.

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