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La veille de l'Hebdo des AG

L’édito de Bénédicte Hautefort

« Les yeux dans les yeux » de Xavier Huilliard

Xavier Huilliard, PDG de Vinci, donne le coup d’envoi des assemblées d’actionnaires 2021. Comme chaque année, il parle en premier, avant tous ses pairs ; et comme chaque année, la forme de son discours, autant que le fond, est scrutée en détail. A quoi va ressembler une AG du CAC 40, version 2021 ?

Ce n’est plus un décor de crise. L’assemblée se tient sur fond épuré, desk blanc sur fond bleu. Les scénographies « de crise » du printemps 2020 seraient, aujourd’hui, mal perçues, alors qu’elles reflétaient l’air du temps et de l’urgence il y a un an. L’assemblée de TF1, par exemple, s’était tenue autour d’une simple table recouverte d’un drap noir, en lieu et place de l’auditorium habituel. Orange avait fait un choix comparable, avec un peu plus de chaleur : des nappes aux tons chauds, plutôt que le noir. Le sobre mais professionnel « desk blanc sur fond de couleur uni » de Vinci est le format 2021.

Le dirigeant s’est exprimé assis, immobile, depuis sa place au desk, ce qui est une grande première ; a-t-il voulu, par cette posture, traduire le fait que le dirigeant est un employé comme les autres ? Est-il crédible, l’année où il touche la moitié de son variable et plus de deux millions d’euros d’actions gratuites, malgré des performances financières en baisse ? Le message subliminal n’est pas bien clair. Sur ce choix, Vinci est à contre-courant des évolutions de ses pairs. Depuis plusieurs années, les intervenants bougent, vont au pupitre, et s’adressent au public, sans lire leurs notes stricto sensu – parfois sans notes du tout, comme Antoine Frérot, PDG de Veolia. Un bon nombre d’entre elles ou eux ont pris l’habitude d’arpenter la scène – par exemple Jean-Pascal Tricoire, PDG de Schneider Electric, Frédéric Oudea, DG de Société Générale, ou encore Ilham Kadri, DG de Solvay. En visioconférence, c’est difficile, mais pas impossible. Jean-Pascal Tricoire, tenant son assemblée 2020 en duplex depuis Hong-Kong, est resté assis, mais en changeant souvent de position. Ilham Kadri et Frédéric Oudea font partie de celles et ceux qui ont reconstruit une scène d’assemblée, pour s’adresser à leurs actionnaires « comme d’habitude », en marchant, avec force gestes – les poings fermés boxant l’air du patron de la Société Générale, pour ponctuer ses propos énergiques, sont célèbres, tout comme l’index et le pouce joints de la « patronne » de Solvay,  soulignant la méticuleuse précision de ses exposés. Il sera intéressant de voir combien, parmi tous ceux-ci, font ce printemps le choix de rester assis comme Xavier Huilliard. Et encore plus, assis immobiles. Mais Ilham Kadri et Frédéric Oudéa n’essaient pas, non plus, de se faire passer pour des salariés comme les autres.

Enfin, grande innovation: le PDG Xavier Huilliard a maintenu son regard planté droit dans la camera. Sauf à un seul moment, sur une question d’actionnaire au sujet de la stratégie Climat, soumis au vote de cette assemblée pour la première fois – cela aurait dû être, pour le PDG, un motif de fierté. Il a alors simultanément détourné le regard, serré le poing, et terminé sa phrase d’un « voilà, je vous remercie» qui n’appelait pas de réplique. Cette distraction lui a sans doute échappé. Deux heures, c’est long, beaucoup trop long. Le record était jusqu’à présent de 30 minutes, tenu par Gilles Pélisson, PDG de TF1, pour la séance de questions-réponses de l’AG 2020. Reste cette idée de soutenir le regard de l’internaute, à travers la camera. Xavier Huilliard a sans doute voulu, implicitement, créer une forme d’intimité avec nous. Après tout, cette méthode avait été inventée par les politiques pour leur passage à la télévision – le fameux « je voudrais regarder la France au fond des yeux » de Giscard d’Estaing, alors candidat, en 1974. Créer cette intimité avec les actionnaires va être un enjeu, pour tous les dirigeants. Certains, en 2020, avaient essayé une autre méthode : tenir l’assemblée en visioconférence depuis leur salon, faisant entrer l’actionnaire chez eux – c’est le cas par exemple de Gérard Mestrallet, président d’honneur de Suez, dans son discours d’au revoir à Jean-Louis Chaussade; ou encore Frédéric Thomas, président d’Icade, exposant les motivations de la Raison d’Etre de la foncière. Ces formats pouvaient convenir dans l’urgence du premier confinement ; ils sont difficilement envisageables après un an d’expérience de ces nouveaux outils. La solution « les yeux dans les yeux » de Xavier Huilliard pourrait donc bien faire école.

B.H.

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