Promouvoir les meilleures pratiques des sociétés cotées

Informer

La veille de l'Hebdo des AG

L’édito de Bénédicte Hautefort

Mieux vaut un « PDG » sincère qu’un président faussement non exécutif

Emmanuel Faber , PDG de Danone, annonce qu’il quitte son fauteuil de directeur général en conservant celui de président, et certains célèbrent déjà la fin des “PDG”. La fin, vraiment ? Pas du tout. Ce n’est qu’en apparence que les entreprises du CAC 40 dissocient les pouvoirs. Quand les présidents dits non-exécutifs sont en réalité les ex-PDG, le concept de gouvernance dissociée est détourné.

Les investisseurs internationaux demandent de distinguer pouvoir de contrôle (le président) et pouvoir d’exécution (le directeur général); Cap Gemini, Legrand, Plastic Omnium, Bouygues, ArcelorMittal et bientôt Saint-Gobain et L’Oréal font tout autre chose. Ils dissocient les pouvoirs, certes, mais uniquement pour permettre à un grand capitaine de rester encore un peu, le temps de former son dauphin, qui au bout de deux ou trois ans deviendra à son tour PDG.  Paul Hermelin à Cap Gemini, Gilles Schnepp à Legrand, Laurent Burelle à Plastic Omnium, et bientôt Emmanuel Faber à Danone, Martin Bouygues et Lakhsmi Mittal dans leurs entreprises éponymes, Pierre-André de Chalendar à Saint-Gobain, Jean-Paul Agon à L’Oréal sont officiellement des présidents non-exécutifs.

En réalité, les directeurs généraux ne sont pas leurs alter ego mais leurs dauphins, qui attendent de “tuer le père” – ce sont même parfois véritablement leur

fils ou leur fille. Ils perpétuent en cela une longue tradition : c’est en suivant ce chemin qu’eux-mêmes sont devenus PDG. Jean-Louis Beffa, PDG de Saint-Gobain, a nommé en 2007 DG Pierre-André de Chalendar, devenu PDG en 2010 ; Lindsay Owen-Jones, PDG de L’Oréal, a nommé en 2006 DG Jean-Paul Agon, qui est devenu PDG en 2011. Et ainsi de suite. Quelquefois, cela ne fonctionne pas, comme à Engie : Gérard Mestrallet a passé les commandes à Isabelle Kocher, qui entendait bien, une fois qu’il aurait atteint l’âge limite, devenir elle-même la première femme PDG du CAC 40. Hélas, l’ancien PDG ne s’est pas résolu à partir, il est resté deux ans de plus que prévu, l’atmosphère s’est tendue et la brillante dauphine n’a finalement pas été reconduite dans son mandat.

Les étrangers n’arrivent pas à comprendre cette conception très oedipienne de l’entreprise. Partout ailleurs, présider un conseil et diriger une entreprise sont deux responsabilités différentes. Alors, par besoin de “cocher la case”, les investisseurs anglo-saxons se contentent de demander la séparation des pouvoirs ; la majorité des entreprises françaises s’exécutent sur le papier, pour acheter la paix actionnariale, de bons scores d’approbation en assemblée générale. Et en pratique, elles s’arrangent pour que rien ne change.

Sur le long terme, les investisseurs ne sont pas dupes. Quand la dissociation des pouvoirs n’est pas réelle, tôt ou tard déboule un activiste qui appuie là où ça fait mal, comme Eliott à Pernod Ricard, ou Artisan Partners à Danone. Le PDG Alexandre Ricard est resté en place parce qu’il a nommé une administratrice référente, Patricia Barbizet ; Emmanuel Faber a été contraint de céder une partie de son fauteuil. Les marchés sont ambivalents, exigent la dissociation des pouvoirs mais préfèrent encore les PDG, si des contrepouvoirs sont en place. Certaines grandes figures l’ont compris, et revendiquent une gouvernance sincère. Patrick Pouyanné à Total, Bernard Arnault à LVMH ou Antoine Frérot à Veolia, ont les mêmes actionnaires que les autres ; ils sont obligés de consacrer beaucoup d’énergie à expliquer qu’ils sont PDG, mais pas monarques absolus, ni tyranniques. Ils ont mis eux-mêmes des contrepouvoirs en place, des administrateurs référents, des vice-présidents. Ils démontrent qu’une gouvernance centralisée mais transparente et sincère peut être une option plus intéressante qu’une gouvernance faussement dissociée. Question de culture d’entreprise.

B.H.

Edito publié dans Challenges 6 mars 2021

Numéro en cours

Numéro précédents