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La veille de l'Hebdo des AG

L’édito de Bénédicte Hautefort

La crise fait bouger les lignes entre conseils d’administration, actionnaires et managers

5 octobre 2020. Il y a encore quelques semaines, nous pensions être sortis d’une grave crise, et les annonces de ces derniers jours montrent que malheureusement non, nous n’en sommes pas sortis. Après avoir urbi et orbi parlé de « rebond », la Place de Paris se prépare à une crise longue. Comme toute crise, elle est l’occasion d’une introspection, avec ses ramifications sociales, sociétales, économiques, ses réflexions stratégiques et, pour les plus hardis – comme Orange dès le mois de mai – le coup de projecteur sur les opportunités.

L’opportunité est de constater que les entreprises ont, de facto, rebattu les cartes de leurs organes de gouvernance. Un dirigeant exécutif aujourd’hui n’a plus le même ârtage des rôles avec son conseil d’administration, qui lui-même donne beaucoup moins de pouvoir aux actionnaires, qu’il est censé représenter. C’était censé être un fonctionnement provisoire, celui des « AG à huis clos ».

Ce nouveau partage s’est construit dans l’énergie de la bataille – contre le virus, contre la crise sanitaire, contre la crise économique. Nombreux sont ceux qui ont souligné combien les managers, pendant cette période, ont été présents et démontré leur leadership : ils ont resserré les liens avec leurs équipes, convaincu leurs clients, leurs fournisseurs, leurs partenaires, de rester proches.

C’est la partie visible de l’iceberg. Dans l’ombre, ils ont fait bouger les lignes du pouvoir: au sein du triangle managers – administrateurs – actionnaires, les rôles ont été redistribués.

Les membres des Conseils d’Administration ont débattu de sujets jusqu’ici réservés à l’opérationnel – trop de sujets de micro-management sont remontés au Conseil pendant cette période, critiquent certains. Est-ce parce que les managers ont davantage sollicité leurs Conseils ? Est-ce parce que les Conseils, inquiets, ont davantage posé de questions ? Un peu les deux sans doute. Une façon positive de voir les choses est de constater que les administrateurs se sont retroussés les manches, et sont entrés dans le détail, parce que c’était parfois la survie des entreprises qui était en jeu.  Il va falloir, à présent, rétropédaler et retrouver un partage des rôles ; reviendra-t-on à la logique du « monde d’avant », avec un Conseil chargé essentiellement du contrôle des risques, au nom des actionnaires ? bâtira-t-on sur le socle des « Raisons d’Etre » du printemps 2020, pour définir des Conseils au rôle plus large ? si nous sommes partis pour une crise longue, à quel moment sera-t-il pertinent pour les Administrateurs de revenir à un rôle moins opérationnel ? Autant de questions qui pour l’instant mûrissent, dans des esprits qui ont très bien su gérer l’urgence, mais n’avaient pas anticipé que cela allait durer, et longtemps.

Et puis il y a les actionnaires, ceux qui ont élu les Administrateurs. Ils ont été malmenés au printemps : coupes de leurs dividendes, opposition dans l’opinion publique entre le monde du passé où l’entreprise leur appartenait, à eux les actionnaires, et celui de demain, où ils ne sont qu’une « partie prenante » parmi d’autres. Ils ont massivement participé aux assemblées digitales (« les AG à huis clos ») mais ont parfois été frustrés : il leur était impossible de proposer une résolution en séance.  La démocratie actionnariale, dans les « AG à huis clos », était conviviale, mais ce n’était pas une démocratie. Elle a creusé le lit d’une nouvelle phase d’activisme, dont on voit bien les points d’achoppement possibles : des rémunérations de dirigeants en 2020 qui pour la plupart ne seront pas ce que les actionnaires avaient voté (elles seront en général plus faibles ; mais surtout avec des critères différents) ; des profils bilantiels plus lourds, avec la généralisation des prêts, sur lesquels les actionnaires n’ont aucun contrôle ; des stratégies remises à plat, et donc encore fragiles, comme dans n’importe quelle phase de transition.

En plus d’une deuxième vague Coronavirus, les entreprises pourraient bien, cet automne, affronter une nouvelle vague d’activisme actionnarial.

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