Vous affirmez depuis longtemps que performance boursière et responsabilité sociale sont compatibles; comment voyez-vous les choses pour 2020 ? Le fossé semble vertigineux entre d’un côté un CAC à 6000 points, et d’un autre une France qui exprime des attentes de plus en plus fortes en matière de justice sociale, de protection de l’environnement et de responsabilité sociale de l’entreprise
Je vous rappelle qu’on dansait bien sur le Pont du Titanic ! Les records boursiers de cette fin d’année pourraient laisser penser que tout va bien, au moins sur la planète finance. Sur la planète terre c’est plus compliqué ! L’Australie brûle et les émissions de gaz à effet de serre s’intensifient au point de nous amener droit vers un réchauffement climatique bien plus élevé que ne le prévoit l’Accord de Paris. Cela augure non seulement d’un désastre environnemental mais aussi financier.
Souvenez-vous, en 2015, le secteur financier a adopté des politiques climat persuadé que le changement climatique était un risque systémique pour la stabilité financière mondiale. L’idée était que les indices regorgaient de «stranded assets », actifs dévalorisables, parce qu’incompatibles avec l’Accord de Paris : les énergies fossiles, les voitures à essence, la surproduction textile…C’est à dire l’économie telle qu’elle était et telle qu’elle est toujours quatre ans plus tard.
Les performances actuelles des indices peuvent laisser croire que cette analyse n’est plus d’actualité et que toutes les entreprises qui les composent, ont de beaux jours devant elles. C’est bien sûr vrai pour certaines ; pour d’autres le doute est permis car ces performances ne sont pas le fruit d’une analyse positive des fondamentaux des entreprises mais le résultat de l’augmentation exponentielle de la gestion indicielle. Son poids toujours plus important associé au High Frequency Trading, perturbe la capacité des variations boursières à refléter la valeur réelle des entreprises cotées, plus particulièrement sur le plan environnemental et social.
Concrètement, au-delà des points, il faudrait connaitre la trajectoire climat sur laquelle nous met l’activité des entreprises intégrées à ces indices pour pouvoir évaluer l’impact environnemental de cette suractivité boursière. Les rares études sur le sujet sont plutôt préoccupantes : les grands indices boursiers seraient alignés sur des trajectoires climat de +3, +4 et même +5 degrés. Bien sûr, les entreprises du CAC 40 commencent à mettre en œuvre des stratégies climat, plus ou moins ambitieuses ,comme l’a montré une étude d’Eco Act publiée en septembre dernier. Mais 5 % seulement ont un objectif de neutralité carbone.
En conclusion, une lutte efficace contre le changement climatique suppose aussi de renouer le lien entre les variations boursières et les réalités économiques et politiques. Cela pourrait passer par la publication des trajectoires climat des grands indices. Cela permettrait de savoir quel monde on finance quand on y investit. Les records boursiers sont d’autant plus abstraits que des crises profondes comme les grèves de transports en France ou les incendies en Australie, dont l’indice phare a lui aussi augmenté de 1000 points, n’affectent pas les bourses de leur pays respectifs. Il est assez tentant de penser que les réalités économiques auxquelles ils sont confrontés vont finir par avoir un effet boomerang. La probabilité que ce soit en 2020 est élevée.