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L’édito de Bénédicte Hautefort

Mobiliser les dirigeants, plaire aux investisseurs, anticiper les exigences des candidats à la présidentielle 2022 : le triptyque des Comités des rémunérations

Le 7 juillet 2021, nous avons eu le plaisir d’être accueillis par le cabinet Avanty Avocats, expert en rémunération des dirigeants, pour présenter ensemble les leviers à l’étude aujourd’hui pour les rémunérations 2022.

Les Comités de Rémunération sont à la manoeuvre. D’abord, qui sont-ils ? des comités obligatoires au sein des Conseils d’Administration français, officiellement chargés de plancher sur la rémunération des dirigeants. Leur composition est encadrée par la loi : ils sont constitués d’administrateurs en majorité indépendants, les dirigeants eux-mêmes ne peuvent pas y siéger, et, depuis la loi Rebsamen de 2015, les administrateurs salariés y siègent obligatoirement. Ils s’entourent d’experts, avocats spécialisés, études de benchmarks, pour proposer des « packages » pour les dirigeants.

Dès aujourd’hui, ils travaillent sur 2022, avec trois exigences, pas si faciles à concilier. Bien sûr, ils doivent élaborer des « packages » attractifs pour attirer, ou même conserver, les meilleurs dirigeants. Le rebond économique repose en grande partie là-dessus. Actions gratuites, retraites chapeaux « loi Pacte », bonus de surperformance : la créativité foisonne, avec un accent entrepreneurial. Simultanément, les mêmes comités écoutent les investisseurs, car ce sont eux qui décident, in fine, par leur vote ; sous leur impulsion, les critères « Climat » se généralisent. Enfin, dernière exigence, et non des moindres en une année électorale : le talent des comités de rémunération est d’éviter tout affrontement avec l’opinion publique. En d’autres termes, un package qui fait scandale ne peut pas être un bon package.  

Les entreprises ont commencé par penser à leurs troupes, et à leurs dirigeants : les rémunérations 2021 tracent des « courbes en J », marquant un fort rebond en 2021 après le recul de 2020. Simultanément, les plans d’actionnariat salarié se multiplient, pour intéresser toute l’entreprise à la reprise.

Puis elles ont écouté leurs investisseurs. La rédaction des politiques de rémunération 2021 montre de grandes inflexions par rapport à 2020, la réponse extrêmement réactive des entreprises à un camouflé : les scores de vote sur les rémunérations 2020 aux assemblées générales 2021 ont été inférieurs de 5 points à l’année précédente, pour le CAC 40. Lorsque toute la place est concernée, ce n’est pas le cas isolé d’une entreprise, mais le malentendu de toutes, avec l’ensemble des investisseurs et surtout avec les « proxy », ISS, Glass Lewis et Proxinvest. Explication : les entreprises ont revu les schemas de rémunération en cours d’année, pour les ajuster à des budgets revus avec la crise ; certaines n’ont rien dit, certaines ont essayé d’être le plus transparentes possible, et d’autres encore ont utilisé les critères dits « RSE » pour attribuer des variables quasi discrétionnaires. Les investisseurs, pris de court, n’ont pas compris et ont durci leur position. Ils ont demandé à avoir d’un côté des critères très quantifiés, mesurables, et d’un autre la possibilité officielle de déroger au résultat de cette mécanique et d’opter pour le discrétionnaire. C’est chose faite dans les politiques de rémunération 2021, largement approuvées par les actionnaires. Total avait été précurseur en 2018, à présent cette « bonne pratique » s’est diffusée. En d’autres termes, les investisseurs sont d’accord avec le principe de « la courbe en J », même avec un J très haut, mais ils auraient préféré un J plus creusé en 2020. C’est désormais une page tournée. Le retour des retraites-chapeaux, en revanche, ne les a pas encore convaincus, même dans leur version profondément revue avec la loi Pacte. Carrefour et Bouygues, premiers à passer au nouveau régime, ont essuyé des scores très bas (78% et 63% de votes pour, soit presqu’uniquement leur actionnaire de référence).

L’enjeu, à présent, est d’expliquer le rebond à l’opinion publique. C’est pour elle, et aussi pour les investisseurs, que les entreprises indexent les bonus de leurs dirigeants sur la stratégie Climat ou sur la féminisation des équipes. Dassault Systèmes est la première entreprise à avoir passé cette année le cap des 50% d’extrafinancier pour le bonus du dirigeant. L’opinion applaudit. Elle est polarisée sur l’extrafinancier, dans la même logique qu’elle approuve les votes sur les Raison d’Etre, les entreprises à mission. Elle n’a pas encore vu que les idéaux RSE avaient, parfois, été instrumentalisés pour justifier des rémunérations qui ne seraient pas passées sans cela. Elle n’entend pas encore la frustration des investisseurs, ce printemps 2021 où on a si peu parlé de performance financière – parce que tout allait bien. Elle n’entend pas non plus les commissaires aux comptes frustrés d’avoir été écartés des assemblées générales, dans un cas sur cinq, du jamais vu ; ni les questions des actionnaires sur les chiffres, jamais aussi nombreuses qu’en ce printemps 2021.

L’opinion va se réveiller, et dicter de nouvelles exigences. C’est ce réveil que les Comités de rémunération, dès aujourd’hui, anticipent. Ils savent qu’au printemps 2022, les entreprises vont annoncer, en pleine campagne présidentielle, des bonus en forte hausse, des critères « RSE » pas encore normés et le retour des retraites-chapeaux. Dirigeants, investisseurs, opinion publique : tous devront être satisfaits.

B.H.

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